13 juin 2007

Comité Médical de soutien aux réfugiés

Monsieur le Président du Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins informe le Docteur Francis REMARK, Médecin psychiatre, par lettre du 9 mai 2007 que « Dans son Assemblée Générale du 26 avril 2007, le Conseil départemental de l’Ordre des médecins a pris connaissance du courrier que vous avez adressé à un certain nombre de médecins dans le but d’attirer leur attention sur des faits que vous jugez critiquables en leur demandant leur soutien dans le combat que vous avez entrepris. Si, [...], vos intentions reflètent des sentiments nobles et respectables, il ne vous appartient pas, dans ce combat, de vous affranchir des règles du secret médical « général et absolu ». Or celui-ci a été violé dans la mesure où vous citez des patients qui se sont confiés à vous en les désignant nommément et en rapportant des faits précis et personnels relevant d’informations que vous avez recueillies dans l’intimité du colloque singulier. Le fait de communiquer des informations à caractère secret à des médecins non impliqués dans la prise en charge directe des patients,- quand bien même ces derniers vous auraient donné leur accord-, constitue une violation du secret médical. [...] Considérant les faits et après en avoir débattu, le Conseil Départemental, dans son Assemblée Générale du 26 avril 2007, a décidé de porter plainte à votre encontre devant la chambre disciplinaire de première instance d’Aquitaine. »


Brièvement, je vous indique les faits. Le Docteur F.REMARK a, comme d’autres de ses confrères, un certain nombre de personnes étrangères ou réfugiées, en situation régulière ou non, comme patients. Ceux pour lesquels il pense que leur pathologie et leur situation le justifient, il leur propose de retirer à la préfecture un dossier de demande de droit de séjour en France pour raison médicale, et dans ce cas, ces patients voient un médecin agréé à qui est adressé un compte rendu, et ce médecin établit un certificat au médecin inspecteur de la DDASS qui donne son avis à la préfecture qui, en principe, est accepté. Pour les médecins psychiatres, il s’agit essentiellement de réfugiés qui ont subi des violences souvent très destructrices, et qui vivent des états post traumatiques avec déstabilisation narcissique conduisant à des états d’angoisses permanentes, troubles fonctionnels, de grandes réactions phobiques et des fragilisations structurales de type état limite. Pour une de ses patientes qui était dans ce cas, la préfecture refuse de lui donner un dossier, ou plutôt indique que si elle se présente à la préfecture, elle se ferait arrêtée, et expulsée dans le pays européen d’où elle vient, où elle avait déjà fait une demande d’asile et d’où elle a été déboutée du fait d’une demande mal argumentée, pays qui la renverrait immédiatement dans le pays qu’elle a fui, (cela est dû aux accords européens dits Dublin II pour la lutte contre l’immigration qui donnent lieu à une lutte contre le droit d’asile et de protection, mais ces accords d’une part ne s’imposent pas aux différents états, et d’autre part, ne concernent pas les droits au séjour pour raison médicale). Toutes les démarches du Docteur F. REMARK auprès de la préfecture, de la DDASS, et du Conseil de l’Ordre n’ont rencontré que des silences ou des refus, et ceci malgré l’article L 1110-3 du code de la Santé Publique qui stipule que « Aucune personne ne peut faire l’objet de discriminations dans l’accès à la prévention et aux soins. », et aussi malgré les risques majeurs concernant la vie ou l’aggravation de la pathologie de cette patiente si son séjour en France n’est pas assuré pour bénéficier de soins et de protection. Avec l’accord de sa patiente, le Docteur F. REMARK a communiqué à une cinquantaine de ses confrères les éléments situationnels et cliniques de sa patiente pour les solliciter à signer une pétition soutenant la demande d’obtention d’un dossier d’examen à la préfecture. Ce sont ces courriers qui ont obtenus une douzaine de réponses positives que le Conseil de l’Ordre considèrent comme relevant d’une violation du secret médical. Cela est possible si l’on interprète l’article L.1110-4 du Code de la Santé Publique à la lettre : « deux ou plusieurs professionnels de santé peuvent toutefois, sauf opposition de la personne dûment avertie, échanger des informations relatives à une même personne prise en charge, afin d’assurer la continuité des soins ou de déterminer la meilleure prise en charge possible. », mais avec la situation de sa patiente, il a estimé qu’il avait besoin de ses confrères pour assurer la prise en charge et la continuité des soins qui est menacée par la préfecture. D’autre part, l’esprit du secret médical est de préserver les droits à la dignité des patients, et son interprétation étroite reviendrait à laisser faire une maltraitance. Enfin, dans ce cas, il y aurait contradiction manifeste avec d’autres obligations qui incombent aux médecins telles qu’elles sont heureusement identifiées par les articles 9, 32, et 47 du Code de Déontologie, ainsi que les articles L.1110-1 et L.1110-3 du Code de la Santé Publique. Citons entre autres, l’article 9 du Code de Déontologie : « Tout médecin qui se trouve en présence d’un malade ou d’un blessé en péril ou, informé qu’un malade ou un blessé est en péril, doit lui apporter assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires ».

D’autre part, le problème demeure pour cette patiente d’un risque d’expulsion qui serait une manifestation de déni du droit aux soins. C’est pourquoi, en observant l’aggravation de cette politique vis-à-vis des réfugiés au niveau national et départemental, nous avons décidé avec quelques confrères de différents horizons (généralistes, psychiatres ou autres spécialistes, hospitaliers ou libéraux), de constituer un groupe dont le nom provisoire serait Comité Médical de Soutien aux Réfugiés et aux Précarisés.
Au niveau national, par exemple, le rapport du 22 avril 2005 du Dr Marc WLUCZKA, Médecin-chef, Service de Santé Publique et d’Assistance Médicale présente le bilan sanitaire des demandeurs d’asile hébergés en France, et la dernière phrase de ce rapport est : « Il se confirme que la question des maladies mentales est d’une gravité extrême dans cette population, du fait surtout de l’absence de solutions de soins. » (cf. le site www.primolevi.asso.fr). Autre exemple : la pétition Peut-on renvoyer des malades mourir dans leur pays ? qui est en cours, initiée par l’Observatoire du Droit à la Santé des Etrangers qui regroupe différentes associations (cf. le site www.medecinsdumonde.org). Dernier exemple : le témoignage du Dr Philippe TAUGOURDEAU qui a été médecin à l’unité médicale de la ZAPI 3, Zone d’Accueil des Personnes en Instance à l’aéroport de Roissy, de septembre 2004 à son éviction en juillet 2005 (in Défense de soigner pendant les expulsions Ed. Flammarion) qui décrit, même si une analyse en manque, l’organisation des refus de soins pour ces étrangers et réfugiés, car ils sont en situation irrégulière).
Au niveau départemental, il y a d’abord l’absence de moyens spécifiques d’accueil pour les étrangers et les réfugiés. A l’interpellation que le Docteur F. REMARK avait adressé à la DDASS le 15 juin 2004 concernant ce manque et plus particulièrement le problème des interprètes, il lui a été indiqué qu’il pouvait adresser ses patients au service public...qui, bien sûr, ne peut les accueillir. Il y a aussi la maltraitance de la souffrance des réfugiés par les services de la préfecture et de la police qui n’hésitent pas à commenter les ordonnances médicales des réfugiés dans la volonté de discréditer leurs demandes de protection. Il y a eu aussi récemment des contres expertises exigées par la DDASS sur pression de la préfecture, contre expertises qui, avec ces personnes réfugiées fragilisées, ont occasionné des décompensations chez ces patients.
La prise en charge médicale des problèmes de santé des étrangers et des réfugiés ouvre pourtant le travail d’accueil et de soins à différentes particularités de la clinique et de l’éthique. En particulier, il y a une particularité de la clinique des états post traumatiques secondaires à des violences qui comporte des atteintes ou désorganisations narcissiques responsables de phénomènes de confusions, de troubles de la mémoire, et donnant lieu à des angoisses nocturnes avec trois types de cauchemars différemment analysables et traitables. Il y a aussi une clinique de l’exil qui occasionne des instabilités des relations de confiance, et qui malmène la régularité des consultations. Ce que l’on appelle la relation transférentielle est alors orientée par des ruptures ou des reprises surprenantes, ou bien par un investissement ressenti comme vital, sacré. Ces éléments symptomatiques sont utilisés par les pouvoirs décisionnels comme preuves de doute, et comme moyens de discréditer les étrangers. La police a interrogé des patients et leur a demandé comment ils pouvaient avoir besoin de soins alors qu’ils manquaient des rendez vous.
La négligence de cette clinique et son utilisation pervertie met à mal les positions éthiques vis-à-vis des réfugiés qui ont, dans ce sens deux désavantages, celui d’être étranger et celui d’avoir été victime. En effet, être étranger, et avoir été victime, ça dérange toujours les identifications, et la non reconnaissance de ces deux représentations conduit à enfermer, isoler, rejeter l’autre dans ces catégories du « non comme nous ». Culturellement, c’est pourtant l’intégration de l’étranger qu’il y a en chacun de nous, et l’intégration de la violence qu’il y a en chacun de nous, qui pourront ouvrir la compréhension de l’autre et de nous. Ces réalités cliniques et éthiques aident aussi à comprendre la relation inégalitaire qui existe dans la relation de soin et à comprendre la situation et la relation envers les personnes précarisées. Si c’est avec le déni que s’organisent les pensées de rejet de la connaissance de l’autre, celle-ci doit affronter les difficultés de la sollicitude, au risque de la complaisance, et les enjeux de la haine, par la séduction de la solution de l’élimination.
Ces réalités ne sont pas des spéculations. C’est pourquoi il arrive trop fréquemment que des médecins, psychiatres y compris, se laissent prendre par l’idéologie de la preuve objective dans le sens de la preuve matérielle, et par la pseudo clinique de la symptomatologie purement fonctionnelle et non contextualisée.
Il est donc proposé aux médecins d’indiquer s’ils seraient intéressés pour être, simplement informé, ou sympathisant, ou membre non actif, ou membre participant de ce Comité Médical de Soutien aux Réfugiés et Précarisés dont la nomination exacte, le fonctionnement et les actions restent à préciser. Des contacts peuvent se poursuivre, mais une réunion ne pourra avoir lieu qu’en septembre.

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