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25 oct. 2007

Intervention du Sénateur Jacques MULLER

(Sénat – Question orale du mardi 23 octobre 2007) - Projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration,à l’intégration et à l’asile - Séance publique du mardi 23 octobre 2007 - Conclusions de la Commission Mixte Paritaire

M. Jacques Muller. - La Commission mixte paritaire a eu une lourde tâche : présenter un texte de consensus sur des points de divergences fondamentaux entre l'Assemblée nationale et le Sénat. La seule chose dont on puisse se réjouir, monsieur le ministre, c'est qu'au contraire de ce que souhaitait le Gouvernement, l'Assemblée nationale n'a pas eu le dernier mot... Vous avez pu mesurer l'implication énergique et déterminée des sénateurs pour rendre ce texte, marqué du sceau de l'inégalité et de la discrimination, moins inacceptable, plus humain, et tenter d'en extraire les dispositions les plus discriminatoires.

Si je salue les trop rares avancées de ce texte, notamment la mise en place d'une carte de résident permanent ou la mise en place d'un recours suspensif de plein droit contre les décisions de refus d'asile à la frontière, c'est sans faire preuve d'angélisme. Loin d'être un texte d'équilibre, respectueux du principe d'égalité de tous devant la loi, conforme à l'histoire de la politique migratoire de la France et aux principes qui ont concouru à son élaboration, votre projet de loi, monsieur le ministre, est un texte de rupture. Car il rompt avec des principes qui ont jusqu'à présent concouru à faire de la France une terre d'accueil. Il rompt avec les principes élémentaires qui fondent notre droit : droit de vivre en famille, principe constitutionnel d'égalité, droit au respect de la dignité. Il rompt avec les engagements internationaux de la France, et notamment l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme ou les règles de droit international privé. Il rompt, enfin, avec la politique française de coopération et de co-développement que vous prétendez pourtant promouvoir. Une politique mise à mal par les restrictions successives que lui a imposées votre majorité, et aujourd'hui vouée à disparaître, et avec laquelle vous affichez votre volonté de rupture.

Le discours colonialiste du Président de la République à Dakar est l'illustration oratoire de cette rupture, dont ce projet de loi est l'illustration législative.

M. Brice Hortefeux, ministre. - Quelle méconnaissance !

M. Jacques Muller. - Ce texte a été et reste un acte de défiance : non seulement à l'égard des étrangers, mais également à l'égard des Etats étrangers. Ce mauvais projet de loi fait de l'immigré un être suspect, un délinquant en puissance, une persona non grata incapable et profiteuse. Vous ne mesurez pas l'image négative que ce texte donne de la France à l'étranger. Vous ne mesurez pas le choc que ce texte provoque dans la conscience de nos concitoyens, notamment dans les associations familiales.

Vos objectifs demeurent identiques : l'arithmétique froide l'emporte sur l'humanisme dont s'honorait jusqu'à présent notre pays. Seule la forme a changé. Il y a, bien sûr, le test ADN, dont on a parlé à l'envi. Je ne reviendrai pas sur les raisons qui rendent cet article détestable et contraire à l'esprit de la République, mais certains problèmes d'ordre technique méritent d'être rappelés car je suis plus que sceptique quant à la mise en oeuvre concrète de l'article 5 bis. Ainsi, un enfant africain, en brousse, à des kilomètres du premier poste consulaire, devra, pour rejoindre ses parents, braver l'impossible. Il faudra qu'il prouve qu'il est le fils de sa mère. Vous nous dites que le test est facultatif. Soit, mais personne n'invoquera la possession d'état auprès d'une administration suspicieuse. Personne ne se bornera à prouver sa filiation avec des documents administratifs, sur la seule foi de leur établissement, comme d'ailleurs le prévoit le code civil. L'étranger qui ne demandera pas de test passera pour celui qui a quelque chose à cacher. Voilà les conclusions auxquelles parviendront les autorités consulaires.

M. Pierre Fauchon. - Qu'en savez-vous ?

M. Jacques Muller. - Les autorités consulaires n'admettront pas que des considérations éthiques puissent pousser des étrangers à refuser ce test. « S'ils le refusent, c'est qu'ils fraudent... » se diront--elles. Admettons que la mère et l'enfant acceptent ce test. L'enfant devra alors attendre que les autorités administratives françaises à l'étranger demandent au tribunal de Nantes de statuer sur l'opportunité du recours au test ADN. Combien de temps se passera-t-il pour que la requête soit inscrite au rôle d'un tribunal déjà surchargé ? Ensuite, il faudra attendre que ce tribunal mène les « investigations utiles ». Le juge nantais ira-t-il dans la brousse africaine pour fonder son jugement ? Se contentera-t-il de conclure de manière systématique à la nécessité du test ? Pourquoi recourir au juge si la réponse est connue d'avance ? La réponse est simple : cet article s'écartait du dispositif prévu dans les lois bioéthiques que nous nous sommes engagés à ne réviser qu'en 2009. En réglant ce « détail » au Sénat, le Président Hyest a cru résoudre la question, mais il n'a fait que la compliquer.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Il faut savoir ce que vous voulez ! On ne peut pas tout dire et son contraire !

M. Jacques Muller. - Le texte évoque un « débat contradictoire » : comment un enfant, dans la brousse africaine, pourra-t-il faire valoir ses droits devant le tribunal à Nantes ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - En matière civile, on est représenté !

M. Jacques Muller. - Sera-t-il représenté par un avocat africain en France ? Disposera-t-il d'un avocat commis d'office ?

En outre, il me paraît extrêmement dangereux d'associer dans un même texte fichage ADN et fichier ethniques. Cette association de mots et de dispositifs dans une seule et même loi, complétée par la suppression pure et simple de la référence aux discriminations subies par les étrangers établis en France dans le rapport pluriannuel sur l'immigration, en dit long sur la tournure que prend la conception française de la politique migratoire. Avec ce projet de loi, vous institutionnalisez l'obsession du fichage : après le fichage des enfants d'immigrés sans papiers inscrits dans les écoles publiques, celui des décisions rendues par les juges impliquant un immigré, celui des fonctionnaires de police par la voie de test ADN récemment révélé par la presse, c'est aux étrangers pas même entrés en France que vous vous attaquez. Cette démarche est inappropriée, vexatoire et honteuse !

Un point avait été acquis lors de notre examen, mais il a été supprimé par la CMP. A l'initiative de ma collègue Boumediene-Thiery, un amendement des Verts avait été adopté qui dispensait les personnes âgées bénéficiant de l'allocation de solidarité, du revenu minimum fixé par ce projet de loi. Il nous est en effet apparu impérieux de permettre à des personnes âgées, vulnérables et seules, de bénéficier du regroupement familial même si elles ne peuvent justifier de revenus égaux au SMIC. Le rapporteur avait été défavorable mais le Gouvernement s'en était remis à la sagesse de la Haute assemblée qui l'avait voté.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - C'était une bêtise !

M. Jacques Muller. - Or, la CMP a supprimé cet amendement. M. Hyest estime en effet qu'une telle disposition instituerait une discrimination entre les personnes âgées bénéficiant d'une pension modeste et celles bénéficiant de l'allocation de solidarité.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Eh oui !

M. Jacques Muller. - Mais toute personne âgée qui ne bénéficie pas d'une pension suffisante ne bénéficie-t-elle pas de plein droit de l'allocation de solidarité ? Cette discrimination vous choque ? Mais pourquoi ne pas dénoncer celles que ce projet de loi met en place ? Discriminations entre conjoints étrangers de Français établis en France et conjoints de Français établis à l'étranger, discrimination entre enfants d'étrangers qui doivent respecter une obligation de scolarité et enfants de Français tenus à la seule obligation d'instruction, discrimination entre familles étrangères et familles françaises dans la fixation du revenu minimum nécessaire pour vivre en famille. Comment nous opposer le principe d'égalité quand tout ce texte repose sur sa violation ?

En définitive, ce projet de loi est une compilation d'obstacles procéduraux visant à dissuader les étrangers de venir en France. La CMP est parvenue non à un équilibre, mais à un faux compromis. En voulant maintenir ces dispositions tout en les rendant compatibles avec la Constitution, vous êtes parvenus à une véritable aberration procédurale, qui se révélera inapplicable sur le terrain.

Ce projet de loi n'est qu'un nouvel instrument de la politique spectacle conduite de main de maître depuis plusieurs mois, un gadget électoraliste pour braconner sur les terres du Front National, un nouvel artifice destiné à détourner l'attention de nos concitoyens des vrais problèmes. Les sénatrices et les sénateurs Verts voteront contre. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

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