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30 avr. 2008

Francis Remark : Mémoire pour l'appel

COMPTE RENDU DU MÉMOIRE DESTINÉ À L’APPEL DE LA DÉCISION
de la chambre disciplinaire de première instance d’Aquitaine, en date du 12 février 2008

POUR L’AUDIENCE au CONSEIL NATIONAL DE L’ORDRE DES MÉDECINS,
180 Boulevard Haussmann – PARIS - 75008
le mercredi 11 juin 2008, à 9H15

Rappelons brièvement l’affaire : j’exerce en libéral et je suis aussi Directeur Médical du Centre Médico Psycho Pédagogique de Périgueux. Dans mon activité libérale, je reçois des étrangers réfugiés atteints de pathologies liées à des violences subies dans leurs pays d’origine. Un de mes patients réfugié s’est vu refuser, par la préfecture, la possibilité d’accès à un dossier pour que soit examiné son droit au rconstances de l’espèce » seraient alors un facteur de pondération limitée.
Cette logique, qui pourrait être valable pour d’autres situations, est ici particulièrement inadéquate pour deux raisons :
- D’abord, la lecture de l’article R.4127-4 du code la santé publique est ici restreinte, car elle ne tient pas compte, d’une part, de la validation du secret médical qui est d’être « institué dans l’intérêt des patients », et d’autre part, des conditions établies par la loi, à savoir l’obligation de moyens que doivent assurer les médecins dans leur exercice.
- Ensuite, l’appréciation des circonstances de l’espèce, qui serait axée sur mon objectif humanitaire, cette appréciation est inexacte. Les circonstances de ce cas ne sont pas dépendantes de mon objectif humanitaire, mais le sont, d’un état clinique grave qui nécessitait une action de soin, et d’une action médicale reconnaissable et indispensable. Il se trouve que pour ce type de clinique, il faut une médecine, et plus particulièrement une psychiatrie, humanitaire. Ce qualificatif concerne peu mes objectifs personnels, mais plutôt une discipline, une pratique normale de la médecine qui doit se soucier de l’éthique. Mon objectif est de pratiquer la médecine qui, dans ce cas est de la médecine humanitaire, de part la situation de ces patients. Si je suis militant, c’est, dans cette circonstance, uniquement militant des devoirs de la médecine.

En conséquence, j’estime que les deux références, ou plutôt les deux obligations, le secret médical et l’obligation de soins, ont trouvé par mon action un équilibre, une articulation, et une rencontre.
- L’équilibre, c’est que chacune des obligations est respectée, qu’il ne s’agit pas d’un compromis qui relativiserait l’importance de l’un ou de l’autre.
- L’articulation, c’est que chacune des obligations est soutenue par l’autre.
- La rencontre, c’est que s’est réalisée là une action médicale contenante de la complexité de cette situation clinique, et ceci par une prise de position de ce qu’est la psychiatrie humanitaire, branche de la psychiatrie, nécessaire pour les réfugiés étrangers souffrant des effets des violences qu’ils ont subies dans leurs pays.

Néanmoins, je dois tenir compte du fait que mon action d’organiser une pétition, en tant que médecin, puisse étonner. Mais s’il faut expliquer, et cela nécessairement, il faut considérer ici que l’étonnement vient du fait que mon action n’est pas l’application d’une doctrine, ni même d’un protocole, mais qu’elle est la conséquence, non prévue mais heureuse, d’une attitude qui n’est ni compassionnelle, ni altruiste, mais d’une attitude d’écoute clinique, et d’écoute éthique, et cela dans le contexte historique qui est le notre d’une xénophobie organisée.
Ce mémoire a donc pour objet de développer une argumentation qui situerait les faits qui me sont reprochés comme respectant ces deux obligations du secret médical, et de l’obligation de soins. Mon objectif, en faisant appel de la sanction du blâme, c’est de dépasser, d’apaiser le conflit qui m’oppose au Conseil départemental de l’Ordre des médecins de la Dordogne, et ceci pour ouvrir une sensibilité à la situation de manque de soins, à la situation de négation ou de dénégation des affections psychiques graves ou des souffrances d’un grand nombre de réfugiés étrangers en France.

I DE L’USAGE DU SECRET MEDICAL

La décision de la Chambre Disciplinaire Régionale ne provient pas d’une lecture rigoureuse, mais d’une lecture réductrice de l’article R.4127-4 du code de la santé publique. Cet article définissant l’usage du secret médical commence en effet par cette argumentation : « Le secret professionnel institué dans l’intérêt des patients s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. ».
Mon action, la communication d’éléments cliniques précis était le seul moyen médical qui respectait au mieux l’intérêt de mon patient, l’intérêt de mon patient concernant la confidentialité, le maintien du caractère privé de ce qui m’avait été confié, de ce que j’avais vu, entendu et compris, et l’intérêt de mon patient concernant ce pour quoi il consultait et que je devais assurer, la poursuite des soins dans des conditions prévues par la loi pour des personnes étrangères dont l’état de santé serait gravement compromis par le renvoi dans son pays.

J’ai pris le plus grand soin à ce que les éléments médicaux que je transmettais à mes confrères, avec l’accord de mon patient, restent confidentiels, et cela a été respecté. Aucune divulgation à des tiers qui pourraient interpréter de façon irrespectueuse les informations communiquées n’a eu lieu. Et mon patient n’a eu aucune conséquence fâcheuse de mon initiative. Aussi, rien dans mon action n’a été préjudiciable à l’intérêt de mon patient.
J’ai dit dans mon mémoire précédent les précautions que j’ai dû prendre pour écarter des interprètes peu respectueux, et les exigences qui sont les miennes pour avoir obtenu de la part des associations de soutien aux étrangers des interprètes possibles, les services de l’État n’ayant mis en place aucun moyen pour cela.

Rappelons que j’avais demandé aux autorités médicales et aux autorités de l’État (Conseil de l’Ordre, DDASS, Préfecture) leur aide ou leur intervention pour que les intérêts légitimes et légaux de mon patient puissent être respectés, et que je n’ai eu aucune réponse.

Rappelons que si j’avais communiqué à mon patient son dossier médical pour qu’il s’en serve lui-même avec l’aide d’associations de soutien aux étrangers, la confidentialité que je devais non seulement respecter, mais aussi faire respecter, aurait été forcément malmenée avec des risques énormes d’aggravation de ses blessures psychiques dont nul ne peut prévoir les conséquences possiblement dramatiques. Comme tout médecin qui connaît les situations de détresses des réfugiés étrangers qui ont subi des violences, je sais que cette solution était inenvisageable, et que d’ailleurs pour ces situations, il y a à proposer aux patients, avec l’information de leur droit à communication, la possibilité que le médecin soit le gardien de leur dossier médical.

Maintenant, notons bien que l’article R.4125-4 du code de la santé publique précise que le secret médical « s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. »
Il apparaît là que pour ces conditions, la situation de mon patient n’est pas prévue de façon explicite par la loi. On ne peut pas, néanmoins, ne pas prendre en considération les obligations heureusement prévues par la loi, de soins et de protection, obligations qui m’incombaient, mais pour les quelles, j’ai été laissé seul pour des raisons de choix politique ou d’alliance avec, ou de servilité envers, la triste politique du ministère de l’immigration et de l’identité nationale.
On peut citer l’article 223-3 du Code Pénal qui prévoit légitimement des sanctions en cas de « délaissement, en un lieu quelconque, d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique », ou l’article 223-6 du même code qui condamne aussi « quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour des tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours. ».
L’obtention récente d’une carte de séjour au titre d’étranger malade par mon patient prouve bien la véracité de mon évaluation de l’état de « personne en péril ».

Mais je suis plus référé aux obligations déontologiques que j’avais déjà citées dans mon mémoire antérieur, et qui concernent l’interdiction de discrimination, et l’obligation de soins.

L’éclairage le plus responsable concernant cette problématique du secret médical et de l’intérêt des patients, vient des travaux de l’Association Médicale Mondiale (association regroupant les autorités médicales de type « Conseil National de l’Ordre des Médecins » de près de 80 pays). Cette association n’a pas de pouvoir réglementaire, mais émet des déclarations sur différents sujets, et selon Monsieur le Professeur B. GLORION qui était le Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins, en 2001, « Ces déclarations sont votées et sont approuvées par les différents pays qui doivent se les approprier et les appliquer ». Je vais donc citer largement la «Déclaration – Prise de Position de l’AMM sur la protection des Intérêts du Patient ». « Adoptée par la 45e Assemblée Médicale Mondiale Budapest (Hongrie), octobre 1993 et révisée par l’Assemblée de l’AMM, Pilanesberg, Afrique du Sud, octobre 2006 » : cf. le site internet : http:/www.wma.net (cliquez sur « français », puis sur « recherche » dans la rubrique « déclarations », puis sélectionner « S » pour trouver « secret médical »).

Citons le début du « Préambule » :
« Les médecins ont le devoir éthique et la responsabilité professionnelle d’agir, en toutes circonstances, dans le meilleur intérêt de leurs patients, sans considération d’âge, de sexe, d’orientation sexuelle, de capacités ou d’handicaps physiques, de race, de religion, de culture, de croyances, d’appartenance politique, de moyens financiers ou de nationalité.
Cette mission inclut la protection des intérêts des patients, à la fois en tant que groupe (ex : défendre les questions de santé publique) et en tant qu’individus.
Parfois, cette mission peut interférer avec les autres obligations juridiques, éthiques et/ou professionnelles du médecin ce qui crée alors des dilemmes sociaux, professionnels et éthiques au médecin.


Dans certains contextes, le médecin peut être confronté à d’éventuels conflits vis à vis de son obligation de protéger ses patients :
1. Conflit entre l’obligation de défense des intérêts et le secret professionnel.
2. Conflit entre les meilleurs intérêts du patient et les dictats des employeurs ou des assureurs.
3. Conflit entre les intérêts du patient et ceux de la société.
4. Conflit entre le souhait du patient et le jugement professionnel du médecin ou les valeurs morales. »

L’intérêt de ce préambule, c’est d’indiquer que plusieurs types de situations peuvent faire rencontrer des conflits. Il n’y a pas, selon l’AMM, de solution toute faite. C’est pour ça que sont formulées des « Recommandations », et je cite des extraits pour les cas 1 et 3 :
1. « ...la confidentialité ne peut être rompue qu’avec le consentement du patient ou son représentant légal ou pour les besoins du traitement quand, par exemple des médecins doivent se consulter.
Si la confidentialité doit être rompue, il faut s’en tenir au strict nécessaire et mettre dans le secret uniquement les parties ou les autorités concernées. »
3. «...un médecin a une obligation de plaider pour que ses patients aient accès au meilleur traitement disponible.
Dans tous les cas de conflit entre les obligations du médecin vis à vis de son patient et celles vis-à-vis de la famille du patient ou de la société, les obligations envers le patient doivent généralement prendre pas sur les autres. » (C’est moi qui souligne)

On voit que mon action était tout à fait conforme aux recommandations 1 et 3 de cette « Déclaration – Prise de position de l’AMM » d’octobre 2006.

En effet, je n’ai rompu la confidentialité, mais je ne l’ai pas négligée, que pour « les besoins du traitement », « qu’avec le consentement du patient », pour l’ « obligation de plaider pour » que ma patiente ait « accès au meilleur traitement disponible », et parce que « les obligations envers le patient doivent généralement prendre le pas sur les autres », y compris si les autres sont « la société », et dans mon cas, des représentants de la société.

Le jugement de la Chambre Disciplinaire Régionale, en m’infligeant un blâme, considèrerait donc que l’intérêt de mon patient, protégé par le secret médical, aurait été que les soins et la protection qui sont, pour les médecins des devoirs absolus à assurer et qui étaient ici des nécessités absolues pour lui, que ces soins et cette protection soient abandonnés. L’intérêt de mon patient aurait-t-il été que je ne défende pas ses droits, ni ses besoins de soins et de protection, et que je le laisse vivre la situation de menace d’une expulsion qui, en tant que menace est déjà une maltraitance, et, en tant que possibilité, serait la cause d’une atteinte grave à sa santé et un risque important pour sa vie.
Je ne peux croire que la Chambre Disciplinaire Nationale suive cette logique que, de toutes façons, je ne pourrai suivre car elle est trop contraire à l’éthique. J’ai essayé de sensibiliser Monsieur le Président du Conseil départemental de l’Ordre des médecins de la Dordogne à cette injustice et à ce manque déontologique, mais je n’ai toujours pas de réponse.

Je dois préciser que mon action d’information auprès de mes collègues, si elle n’a pu avoir l’effet direct que j’en escomptais par une pétition et un comité de soutien, et ceci de part la plainte du Conseil de l’Ordre, cette action a quand même permis de faire changer la position des services de la préfecture. En effet, la pression sur ces services a été soutenue par plusieurs associations de soutien aux étrangers (Réseau Education Sans Frontières : RESF24, et Ligue des Droits de l’Homme : LDH de Périgueux). Cet appui a été possible de part la connaissance que les militants de ces organisations avaient de ma rigueur morale et clinique. J’ai pu ainsi simplement leur communiquer, à la demande de mon patient, que celui-ci relevait du droit de séjour en France au titre d’étranger malade, ils m’ont fait confiance sans m’en demander les arguments. Ils ont plaidé le droit à l’obtention d’un dossier à la préfecture avec la présence de mon patient qui y risquait d’être arrêté pour expulsion, mais à qui j’avais remis un certificat médical attestant, des contacts que j’avais avec la DDASS, et des risques graves. Mon action qui se voulait seulement médicale a dû s’associer à celles de militants des droits de l’homme, mais en restant alors muette sur les informations confidentielles.
Le jeudi 3 avril 2008, le responsable du service des étrangers à la préfecture, m’a indiqué que mon patient, suite à l’avis du Médecin Inspecteur de la DDASS, bénéficiait de l’octroi du droit de séjour en France au titre d’étranger malade, pour un an.
Dans ces conditions, les condamnations de mon initiative ne peuvent me paraître qu’infondées, car, cette action n’a eu aucun effet négatif pour mon patient, a respecté et même protégé la confidentialité, a préservé sa dignité, a participé aux soins, a permis la protection nécessaire vis-à-vis d’aggravations importantes de son équilibre psychique, voire vis-à-vis de risques vitaux, et a permis les conditions pour la dynamique de restauration de sa santé personnelle, relationnelle et d’adaptation.
C’est pourquoi, ma démarche ne doit absolument pas être considérée comme une invitation à assouplir la rigueur et la valeur absolue du secret médical. Au contraire, elle est une occasion à penser le secret médical comme, étant attaché à la relation de soin, pouvant être partagé alors uniquement dans le cadre des obligations de soins envers le patient. L’invitation est plutôt de s’opposer aux volontés actuelles du pouvoir de maltraiter le secret médical, la confidentialité, pour des raisons de contrôle et de répression sur les personnes.

II DE LA PRATIQUE DES SOINS PSYCHIQUES POUR CE CAS DE PATIENT ÉTRANGER RÉFUGIÉ AYANT SUBI DES VIOLENCES DE GUERRE


Les difficultés que j’ai rencontrées pour le traitement de ce patient sont de différents registres, à partir de références conceptuelles et sociales qui viennent compliquer, d’une part la reconnaissance diagnostique, et d’autre part la reconnaissance thérapeutique. Il y a là un enjeu très important, celui de la psychiatrie humanitaire, de sa validation et de sa place, et des conséquences sur la théorie, et sur la pratique médicale, pratique individuelle, culturelle et politique.

Je ne ferai que citer quelques éléments ponctuels théoriques et pratiques sur ce sujet, mais cela est nécessaire pour comprendre les difficultés et les conflits que j’ai rencontrés pour ce cas clinique que je traite depuis octobre 2006. Je ne me considère en effet non pas en butte, et encore moins victime de rapports de forces ennemies, mais j’ai rencontré ce que l’on rencontre très classiquement, les effets de l’obscurantisme politique et des insuffisances de la connaissance médicale, et malheureusement, des effets de ces deux carences conjuguées.

Commençons simplement par dire que la reconnaissance par la psychiatrie des souffrances psychiques post-traumatiques a toujours été limitée, voire déniée. Cette reconnaissance reste très partiale. Elle l’est pour les traumatismes physiques et sexuels en France selon une optique qui privilégie la reconnaissance de la victime pour une restauration par la condamnation des auteurs ou la compensation du préjudice. Les soins psychiques ne sont prévus et pensés que dans la réponse immédiate. Les souffrances psychiques post-traumatiques lors de conflits armés ne sont pratiquement reconnus que pour les vétérans de l’armée américaine, quasiment jamais pour les civils, et selon un point de vue de prise en compte statistique de symptômes anxieux, confusionnels, fonctionnels et thymiques.
Nous manquons, non pas tellement de connaissances, mais plutôt de reconnaissances, car ces souffrances nécessitent pour être comprises, une identification qui n’est pas naturelle, mais qui est à chercher, à chercher dans l’intimité non spectaculaire. Disons aussi que cette identification à la fragilité n’est pas favorisée par la crise sociétale que nous traversons et qui nous désespère, et qui soutient plutôt le recours aux positions de maîtrise, de conquête, de compétition, ou, en cas d’échec aux positions de victime.
La pratique par tous les médecins psychiatres, de l’approche des sujets atteints par des souffrances post traumatiques, et des soins possibles, met en évidence la question de la position d’entendement, de la position contre transférentielle. C’est alors naturellement la psychanalyse qui connaît le mieux cette réalité difficile. Je ne citerai que quelques références.

Monsieur le Professeur de psychiatrie Stanislaw TOMKIEWICZ, qui était directeur de recherches honoraire à l’INSERM, a été un des fondateurs de la psychiatrie humanitaire. Il disait d’abord : « Il n’est pas du tout étonnant que la psychiatrie humanitaire soit un concept récent. Il était impossible de parler d’une pratique psychiatrique humanitaire dans le cadre référentiel de ce que j’appelle depuis toujours la psychiatrie archaïque. Cette psychiatrie archaïque, celle qui a précédé la révolution psychanalytique, était explicitement ou implicitement trop biologique ; elle attribuait de manière tellement exclusive tous les troubles aux caractéristiques intrinsèques de l’individu, que la notion même d’une souffrance provoquée par un évènement vécu, d’origine franchement exogène, était très difficile à accepter. » (In la préface de l’ouvrage Comprendre et soigner le trauma en situation humanitaire de Christian LACHAL, Lisa OUSS-RYNGAERT, Marie Rose MORO, et al. Ed. DUNOD, 2003 », p. XV). Il parle de son histoire personnelle, du choc de la possibilité de rencontre entre la culture acquise et de sa négation par rapport au nazisme, et du choc de la rencontre avec les réfugiés chiliens ayant fui la répression de Pinochet : « ...la plupart des gens torturés étaient du même niveau culturel que les éventuels soignants [...] C’était un choc : dans l’inconscient de l’occident, il est plus aisé de tuer et de torturer ceux qui sont complètement différents de nous, que nos semblables. » (Id. p. XIX). Puis, il situe : « On peut dire que la psychiatrie humanitaire est née vraiment en tant que concept avec les évènements en Amérique latine. En France, l’accueil et les soins se sont faits en ordre dispersé, ce qui ne donnait pas que des mauvais résultats. Ma petite expérience de soins accordés à titre individuel à ma consultation, dans mon appartement ou dans les bistrots de Paris, m’a montré que les soins de cette « psychiatrie humanitaire » se passent d’autant mieux qu’on a le temps et les possibilités de sortir le patient d’une structure officielle. Peut être il ne faut pas le dire car c’est trop subversif. » (Id.)

D’autre part, Serge TISSERON, psychiatre et psychanalyste, chargé d’enseignement à ParisVII, a clairement levé une insuffisance de la compréhension du traumatisme psychique dans son ouvrage La Honte – Psychanalyse d’un lien social Ed. DUNOD, 1992.
Il parle de la surdité qu’ont rencontré des psychanalystes tels BETTELHEIM et RAPPAPORT à leur retour de la déportation qu’ils ont connue : « pour les psychanalystes, à cette époque, l’effet violent d’un traumatisme était toujours lié à la façon dont un individu n’était pas parvenu à résoudre ses premiers conflits psychiques, autrement dit, à ce qu’on appelle, depuis Freud, le « complexe nucléaire de la névrose infantile ». Il était du même coup impossible aux collègues de Bettelheim et Rappaport de comprendre la honte vécue par les déportés en relation avec les violences, tant physiques que psychiques, qu’ils avaient subies dans les camps, et la gravité des humiliations qui leur avaient été imposées. » (p. 1).
En tant que psychanalyste spécialiste de l’image, il repère sur ce sujet, ce qu’il appelle lui même en tête de paragraphe : « Le « point aveugle » de la théorie freudienne » (p. 7).qui assimile la honte à la culpabilité surmoïque, et qui alors, par la conception du trauma qui ne fait que révéler le désir inconscient coupable, occulte la dépendance du sujet à l’expérience qu’on lui impose.
Citons seulement quelques formules, « la culpabilité est une forme d’intégration sociale, alors que la honte est une forme de dés-intégration » (p. 3), ou « le premier temps de la prise en charge du sujet honteux est le rétablissement du lien social » (p. 5), pour reproduire le dernier paragraphe de son ouvrage : « Si le lecteur ne devait retenir de tout ce qui précède qu’une seule idée, je préfèrerais donc que ce soit celle ci : la nécessité, face à une honte éprouvée tant par soi-même que par un autre, de ne jamais la prendre pour ce qu’elle se donne à voir, l’aveu muet qu’il y aurait quelque raison de mettre celui qui l’éprouve au ban de la communauté. Il s’agit au contraire de toujours donner à la honte valeur d’aspiration à la reconstruction d’une identité originale qui trouve sa place dans la communauté. En quelque sorte, valoriser la honte. » (p. 182).

En effet, la pratique des soins psychiques pour les sujets qui ont vécu des violences traumatiques nous confronte à ces difficiles reconnaissances. La première reconnaissance est à réaliser par le thérapeute de son rapport à la violence, violence de ses conceptions ou théorisations aveugles, violence de son impuissance à soigner, violence de l’impensé de la violence, et violence des alliances complices avec les forces ou pouvoirs politiques. (Cf. le mémoire que j’avais rédigé pour la Chambre Régionale Disciplinaire dans lequel j’avais noté un épisode risqué pour un de mes patients de ma séduction à un moment pour la suspicion). La seconde reconnaissance est à défendre contre les négations des droits ou de la réalité des souffrances psychiques importantes, négations par ignorance, et négations par volonté politique.
Se joue avec de tels patients la place de la représentation sociale ou politique dans l’accueil et le traitement. Comme le dit le professeur de psychiatrie de Montréal Cécile ROUSSEAU : « il y a un niveau préalable à la relation thérapeutique. L’interaction avec nos patients migrants est marquée par ce que nous représentons pour eux et pour notre responsabilité politique pour ce que nous représentons. On peut n’avoir ni responsabilité criminelle, ni même responsabilité morale par rapport au racisme de notre société, aux inégalités qu’elle produit, aux politiques qu’elle secrète et contre lesquelles éventuellement on se bat mais on a toujours une responsabilité politique. [...] Si on assume cette responsabilité politique, un dialogue avec les patients peut s’établir, il peut y avoir une ouverture pour leur vécu.» (In la Revue L’autre, Revue transculturelle, volume 7, n°3, 2006, p.358 et 359). Elle propose même : « Je pense qu’une des grandes difficultés dans la clinique du trauma est la difficulté de dire : « Oui, je suis partiellement comme votre tortionnaire, je suis partiellement comme lui et si je vous aide, c’est en partie à cause de ça » ». (Id p. 360)

Se joue aussi pour ces patients la nécessité de l’engagement, et cela de part la nécessité d’avoir une position éthique. Je demande à ce que soit relu ce que j’avais exposé pour la Chambre Disciplinaire Régionale de la nature de l’éthique, et en particulier, ce que je rapportais des indications de S. FREUD : « il nous est permis de nous dire ; tout ce qui promeut le développement culturel œuvre du même coup contre la guerre. », de Hannah ARENDT : « Nous ne naissons pas égaux; nous devenons égaux en tant que membres d’un groupe, en vertu de notre décision de nous garantir mutuellement des droits égaux. », et de Emmanuel LEVINAS : « l’abord du visage n’est pas de l’ordre de la perception pure et simple, de l’intentionnalité qui va vers l’adéquation. Positivement, nous dirons que dès lors qu’autrui me regarde, j’en suis responsable, sans même avoir à prendre de responsabilités à son égard ; sa responsabilité m’incombe. C’est une responsabilité qui va au-delà de ce que je fais. [...] Cela veut dire que je suis responsable de sa responsabilité même. ».

Le médecin psychiatre Christian LACHAL, psychanalyste, consultant à MSF décrit aussi cet engagement dans l’ouvrage Comprendre et soigner le trauma en situation humanitaire : « C’est donc une approche clinique complexe qui est requise et qui ne peut se contenter des repères cardinaux du PTSD, de la dépression et des troubles anxieux. Cette approche passe par une décision au nom du droit humanitaire : venir en aide à une population très touchée par un conflit qui dure, en considérant que cette population n’a pas un accès réel aux soins. » (p.83).

Et c’est pourquoi, tous les médecins psychiatres qui prennent en charge des patients étrangers réfugiés rencontrent des obstacles politiques qui sont mis en place et se développent contre leurs missions. Dans l’Editorial de la revue L’autre de 2006, volume 7, n° 3, Marie Rose MORO, Professeur de psychiatrie, Université de Paris 13, Chef de service à l’hôpital Avicenne, écrit : « Nous sommes inquiets, nous les acteurs de terrain au contact des familles migrantes et de leurs enfants. Nous constatons que la peur de l’autre devient une politique en France et peut être même en Europe et nous le dénonçons avec force et détermination. [...]. Il importe de dire, de crier, de penser, de résister, car les temps sont difficiles mais l’histoire nous montre que la peur de l’autre est mauvaise conseillère et qu’elle provoque chez ceux qui la subissent dégâts et traces profondes. » (p. 341).

C’est dans ce contexte que nous travaillons, c’est pour cela que l’ODSE (Observatoire du Droit à la Santé des Etrangers) a lancé une pétition en mai 2007 : « Peut-on renvoyer des malades mourir dans leurs pays ? », que Médecins du Monde a récemment lancé une campagne : « Reconduire aux frontières un sans papiers gravement malade c’est le condamner à mort », et que l’Association Primo Levi organise le 23 juin 2008 à l’Assemblée Nationale « une journée de sensibilisation à l’insuffisance de l’offre de soins aux personnes victimes de la torture et de la violence politique et aux conséquences des politiques d’asile nationales et européennes toujours plus restrictives. », et ceci avec les associations ULYSSE de Bruxelles, OSIRIS de Marseille, et MANA de Bordeaux.

Les différents obstacles que j’ai rencontrés pour faire reconnaître la nécessité des soins et de la protection pour mon patient est donc d’une certaine manière logique, et cela malheureusement, comme il est logique que soit accepté que les étrangers soient poursuivis et sautent, par une fenêtre du 2ème étage, ou dans la Seine, et se tuent ainsi pour échapper à l’expulsion. Ce que ces faits montrent du déni des droits à la dignité des personnes, et de l’indifférence envers la souffrance des étrangers, est donc accepté par la logique de la défense de nos préjugés et validations culturelles et économiques de l’entre-nous.

Car pour mon patient, une fois que la préfecture a accepté de lui donner un dossier d’examen de sa situation, la reconnaissance de sa pathologie et de la nécessité du droit de séjour en France aurait pu être simple d’accès. Mais il a fallu faire avec les manoeuvres de contrôle, avec les complications de la DDASS.
Les services de la DDASS avaient mis en place, en plus des examens prévus par la procédure (compte rendu du médecin psychiatre et expertise par un médecin psychiatre agréé), des contre expertises confiées à deux médecins psychiatre hospitalier qui n’ont pas de connaissance de ces pathologies et situations.

Antérieurement, un de mes patients avait été convoqué pour une telle contre-expertise, et les conclusions de celle-ci étaient que tous ses symptômes, certes importants, étaient subjectifs, et manquaient de confirmation objective, et ceci contre l’avis du médecin agréé qui parlait de névrose de guerre et qui attestait de la nécessité absolue de poursuite des soins et du séjour en France. Le compte-rendu de cette contre-expertise qui indiquait que ces deux confrères ne connaissaient pas ces pathologies m’a conduit à leur téléphoner.
L’un m’a indiqué que pour lui il n’y avait quasiment aucun cas de nécessités de soins psychiques pour des étrangers, en tous cas pas pour les états post traumatiques, et que mon patient n’avait aucun signe objectif de sa pathologie. J’ai essayé de lui indiquer quelques éléments cliniques réels, mais comme il en restait à une logique de validation par les preuves objectives, je lui ai demandé si sa rigueur pouvait être valable pour des femmes victimes de viol dans des conflits politiques. Il m’a répondu que oui, que l’on ne pouvait rien reconnaître si on n’avait pas une preuve par prélèvement et test ADN ! L’autre expert contacté s’est rendu compte de l’inexactitude de ces contre-expertises, et m’a remercié de lui apporter des éléments de compréhension clinique.
Pourtant, même l’intranet entre le ministère de la santé et les DDASS, pourtant très injuste, ignorant beaucoup de situations de pathologies des étrangers, cet intranet reconnaît les états post-traumatiques comme motif de droit de séjour en France.
J’ai donc interpellé la DDASS.

Une rencontre est acceptée par Monsieur le Directeur de la DDASS le 10 septembre 2007, et j’obtiens l’accord pour être accompagné par un de mes confrères qui reçoit aussi des étrangers en consultations.
Ces situations sont parlées, et une réunion est prévue comme nécessaire avec un des médecins agréé qui reçoit le plus de patients pour cette mission en Dordogne, et les médecins choisis pour les contre expertises. Curieusement, la raison de ces contre-expertises médicales est notifiée par la DDASS comme provenant d’une nécessité de contrôle administratif, contrôle d’identité et contrôle de non délinquance : « Compte tenu des risques liés pour certains de ces demandeurs à l’usurpation de nationalité, voire d’activités illicites sur le territoire, il a été sollicité des expertises collégiales auprès réception des dossiers »

Lors de cette réunion du 9 novembre, l’objet du contrôle administratif par des contre-expertises est écarté, mais la DDASS veut maintenir ces contre-expertises pour quelques cas médicalement discutables, et ceci, malgré l’évidence de la non connaissance de ces pathologies par un des médecins choisi par la DDASS comme contre expert. Celui-ci indique que d’après son expérience, tous les étrangers racontent la même histoire, ce sont tous des hommes, et leurs symptômes sont très pauvres. Il propose un schéma de validation du droit de séjour pour les étrangers selon trois critères, sous conditions de ne rien leur en communiquer car ils pourraient alors tricher : un traitement médicamenteux neuroleptique important, une ou des hospitalisations longues, et au moins une tentative de suicide !

Malgré ces méconnaissances, comme nous devons bien négocier, je défends la connaissance de ces pathologies et situations, nous parlons de plusieurs cas, et il est alors décidé que pour les rares cas qui seront considérés comme peu clairs par le médecin de la DDASS, le patient sera accompagné par le médecin psychiatre traitant. Par volonté de conciliation, je donne mon accord.
Il n’est pas parlé de mon patient qui, entre temps a été examiné par le médecin agréé le 2 novembre 2007. Je reçois son compte-rendu, adressé le 14 novembre, et j’attends les conclusions du Médecin Inspecteur de la DDASS, alors que le compte-rendu d’examen et les conclusions du Médecin agréé sont très clairs pour attester d’une nécessité de soins et de protection. Mais le Médecin Inspecteur décide début décembre de la nécessité d’une contre-expertise pour le 22 décembre 2007. J’informe mon confrère Inspecteur de mon étonnement car cette contre-expertise ne rentre pas dans le cadre que nous avions prévu.
J’accompagne mon patient à cet examen. La contre-expertise est dirigée par le Médecin expert selon une technique d’accueil très suspicieuse. Après l’examen, les différences d’appréciation entre les deux experts, ainsi que les précisions et les correctifs que j’apporte aux méconnaissances du principal médecin expert lui font décider qu’il demandera à ne plus faire de contre-expertises. J’indique à la DDASS le caractère de maltraitance qui a été donnée à vivre à mon patient. En effet, il est profondément désadapté, non seulement humainement, mais aussi cliniquement de mettre en doute systématiquement l’importance des souffrances dont témoigne un sujet qui a vécu des maltraitances. Le compte-rendu de l’expertise collégiale m’est adressé par Monsieur le Directeur de la DDASS, et ceci seulement le 27 mars 2008. Cette expertise collégiale n’est pas collégiale, elle contient deux comptes rendus aux contenus et aux conclusions très opposés.

III CONCLUSIONS

J’avais déjà indiqué dans le mémoire pour la Chambre Disciplinaire Régionale, d’autres contraintes qui sont faites aux médecins psychiatres qui soignent des étrangers, comme par exemple des convocations par le Commissariat de Police de façon à solliciter la trahison de la confiance qui est pourtant la condition de notre fonction.
Nous observons donc que les maltraitances faites aux étrangers et à leurs droits deviennent un objet de conflit voulu par les pouvoirs contre les médecins psychiatres qui soignent ces sujets. Il est nécessaire alors de soutenir les multiples associations de bénévoles qui militent pour le respect de la dignité des étrangers. Il est aussi nécessaire de soutenir les trois psychiatres du Puy de Dôme spécialistes de haut niveau de la psychiatrie humanitaire, pour qui la qualité de médecin agréé a été retirée par la préfecture en raison de cette compétence. Cf. le site : http:/pagesperso-orange.fr/mitsou2ba/blogboy/

C’est pourquoi une information publique est nécessaire pour que cet enjeu médical et sociétal soit éclairé. Ce n’est pas par décision idéologique que je le fais, c’est par devoir du métier de médecin que j’ai choisi par vocation.

Les compréhensions envers mes positions sont très soutenues. Les articles de journaux, les documentaires à la télévision, et les reportages sont globalement assez corrects.
La pétition organisée par la Ligue des Droits de l’Homme de Périgueux, et le Réseau Education Sans Frontières 24 a obtenu à ce jour 2068 signatures avec souvent des commentaires très mécontents contre le procès qui m’est fait, ou très reconnaissants à mon égard. Beaucoup de médecins me soutiennent, mais aussi des anonymes conscients des dérives et des abus des pouvoirs politiques actuels, des élus, de multiples associations de défense de personnes maltraitées, etc.: Cf. La pétition et les commentaires sur le site : ldh-perigueux.blogspot.com/

Je me suis présenté le 6 avril 2008 aux élections du Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins de la Dordogne, et cela sans aucun soutien syndical, simplement avec une profession de foi qui formulait clairement mes positions conflictuelles et mes références pour défendre l’intérêt des patients. Et bien cette position peu orthodoxe m’a fait être élu au Conseil de l’Ordre en tant que suppléant. Pour un département qui a environ 1200 médecins, sur 533 votants, j’ai eu 226 voix, et je suis arrivé 11ème pour 15 élus. Il y a donc 226 médecins de Dordogne qui ont voulu que j’ai une place au Conseil de l’Ordre, et j’y suis pour défendre ce que j’ai indiqué dans ma profession de foi, profession qui m’engage, pour laquelle je suis mandaté, et que j’ai ainsi rédigé: «Chères consoeurs, chers confrères,
Si je me présente pour être membre du Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins de la Dordogne, c’est bien à l’occasion du conflit que ce conseil a voulu à mon encontre, conflit qui porte sur l’interprétation du Code de Déontologie, et sur l’accès au droit aux soins des patients étrangers. Je suis à la disposition de tout médecin pour informer et échanger à propos de ce conflit, et je regrette que le Conseil Départemental de l’Ordre des médecins n’ait pas répondu à mes propositions de rencontre et de débat concernant les maltraitances dont sont victimes des étrangers malades dans notre département.
Il est vrai que les manques de médecins psychiatres dans tous les secteurs, publics, privés, médico-sociaux, infantiles, adultes, etc., avec les délaissements des pathologies et des souffrances psychiques semblent être bien acceptés et même décidés par les autorités de l’Etat et les autorités médicales, malgré la gravité de ces pathologies et de leurs évolutions. La santé des étrangers pourrait alors être laissée aux soins du ministère de l’Immigration.
Cette occasion révèle pour moi une nécessité, celle d’orienter le Conseil de l’Ordre vers une décision de dynamique humaniste de l’exercice médical dans l’intérêt des patients, dans la prise en compte du soin comme soin à la personne, et dans la permanence de la réflexion éthique. pour les médecins, et pour l’intérêt des patients, le pouvoir médical devrait s’exercer au service des soins, et non sur les patients selon la référence paternaliste. Le soin à la personne, c’est le soin qui tient compte de l’environnement (matériel, financier, social, familial, administratif, etc.), non pas comme une contrainte, mais comme des liens à soutenir par la solidarité.
La réflexion éthique, ce n’est pas de faire étalage de grands principes d’emballage, mais c’est entretenir vivant et réel le souci de l’autre et de l’altérité.
Va-t-on laisser ainsi les médecins écarter les patients qui ont la CMU ? Va-t-on laisser les médecins parler de leurs quotas pour les arrêts de travail ou les prescriptions ? Va-t-on laisser se développer les dérogations administratives ou répressives au secret médical ? Va-t-on laisser les inégalités d’accès aux soins ? Va-t-on laisser les manques de moyens de plusieurs secteurs de la santé?
Que l’on ne s’y trompe pas, les mesures dites d’économie ou de rationalisation de la Sécurité Sociale (D. M. P., franchise, etc.) sont des aménagements orientés vers la dépossession des sujets de leurs responsabilités (comme si la responsabilité, c’était de payer : ceci n’est qu’une valeur de l’ultra libéralisme), vers une idéologie gestionnaire où les individus ne sont que des producteurs de signes ou d’objets qui intéressent la plus value, ou ne sont que des consommateurs de « biens » prêts à penser ou prêts à aimer.

Au sein du Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins, je travaillerai dans le sens du respect et de la dignité des patients quand à leurs droits aux soins, je travaillerai pour que la confraternité soit reliée à la solidarité, je travaillerai pour la vie de débats et des échanges, y compris publics, sur les choix possibles des conceptions des soins, de la responsabilité de chacun et des pensées médicales, enfin je travaillerai pour que l’éthique soit, non pas une application, mais un déterminant des pensées des pratiques.
Le Candidat, Francis Remark »

Par ailleurs le fait d’avoir été sanctionné par un blâme à Bordeaux n’a absolument pas altéré la reconnaissance individuelle dont je bénéficie de la part de mes patients, de mes confrères, de mes connaissances. Quand une manifestation publique à propos de problèmes de santé psychique a lieu à Périgueux, je suis souvent sollicité pour y participer ou pour l’animer.

Au terme de cet exposé, je veux simplement dire que, mon patient ayant obtenu les moyens d’être protégé et soigné, je fais le constat que ces moyens ont été acquis par la rigueur de mes analyses cliniques, par le souci de conduire la réalisation et la continuité des soins les plus correspondants à sa situation complexe, par le respect absolu de sa dignité, par la protection la plus efficace de la confidentialité, par une disponibilité constante aux épreuves d’obtention du respect de ses reconnaissances, et par une rigueur de la réflexion et de la position éthique.
Une condamnation nierait la réalité que j’ai obtenu: le respect de la dignité d’un patient, le respect des conditions de soins pour empêcher une aggravation importante de ses souffrances et un risque vital, la protection pour une évolution restauratrice de sa santé et de plus, la gratitude de ce patient.

Le conflit qui m’oppose au Conseil départemental de l’Ordre des Médecins de la Dordogne, et les oppositions que je rencontre à vouloir défendre les droits à la santé des étrangers m’évoque trois citations.
D’abord une de Sigmund FREUD en 1930, dans Malaise dans la civilisation :
« La question du sort de l’espèce humaine me semble se poser ainsi : le progrès de la civilisation saura-t-il et dans quelle mesure, dominer les perturbations apportées à la vie en commun par les pulsions humaines d’agression et d’autodestruction ? A ce point de vue, l’époque actuelle mérite peut-être une attention toute particulière. »

Ensuite, une de notre région, une de Etienne de La Boétie en 1576 dans Discours de la servitude volontaire :
« Pour le moment, je voudrais seulement comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations supportent quelques fois un tyran seul qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a de pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer... »

Enfin, pour revenir à notre temps, celle de Boris CYRULNIK, en conclusion du colloque des 13 et 14 octobre 2006 sur les résiliences : « Dans le traumatisme, il n’y a pas un risque de mort : il y a mort, on a été mort. [...] Ou bien je reste mort et, dans ces cas-là, je suis traumatisé à vie, hébété, indifférent. Cette manière de vivre n’est pas très différente de la mort. Que je sois mort ou vivant, c’est pareil : je suis prisonnier du passé, comme dans le syndrome psychotraumatique ou comme dans le fondamentalisme, c’est à dire que rien ne doit bouger, rien ne doit évoluer. A l’origine du temps, la loi était ainsi : elle ne pouvait évoluer. Dans ces deux cas, syndromes psychotraumatiques ou fondamentalisme – qu’il s’agisse d’un fondamentalisme religieux ou laïc ; ça existe : certaines idéologies sont fondamentalistes -, c’est la pétrification de la pensée, la mort psychique et la mort affective.» (In Résiliences – Réparation, élaboration ou création?, sous la direction de Joyce Aïn, Ed. érés, 2007, p. 306).

Périgueux, le 25 avril 2008
DOCTEUR Francis REMARK
MEDECIN PSYCHIATRE
24000 PERIGUEUX
Courriel : francis.remark@wanadoo.fr

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