11 avr. 2011

Confisquer le débat démocratique

Il se sera écoulé plus d’un an entre l’annonce d’une réforme à venir sur l’immigration et l’adoption finale de la nouvelle loi. Cette année aura-t-elle permis d’engager un vrai débat sur la politique migratoire que devrait conduire la France ? L’histoire de la fabrication de la « loi Besson », faite de motivations non dites, de déclarations trompeuses, d’usage démagogique de fait-divers, restera l’histoire d’une occasion manquée.

Que l’élaboration d’une réforme s’étale sur plus d’un an pourrait être la garantie que la loi adoptée aura résulté d’un débat approfondi, la marque de la volonté du gouvernement d’aller jusqu’au bout du jeu démocratique. Depuis l’annonce, début 2010, d’une énième loi à venir sur l’immigration, jusqu’à son adoption en 2011, les étapes de la fabrication de cette loi relèvent bien plutôt d’une véritable confiscation du débat démocratique.

Recette de cette confiscation : laisser entendre que la réforme envisagée ne serait qu’une adaptation technique ; mettre en oeuvre des évolutions radicales présentées comme des mesures de « simplification » ; tricher sur ce que le droit communautaire oblige ou n’oblige pas à faire ; rédiger des articles qui sont autant de trompe-l’oeil parce qu’ils ne toucheront que très peu de personnes ; surfer sur la vague d’un fait-divers pour annoncer des mesures susceptibles de faire scandale ; introduire un amendement pour tester l’effet produit, puis faire mine de reculer avant de faire passer la disposition via un autre texte.

Au fil de ces péripéties, seul·es les spécialistes du droit des étrangers et les militant·es des organisations de défense des droits de l’Homme peuvent savoir où on en est de l’évolution d’une réforme dont la plupart des citoyen·nes ne savent plus très bien ni ce qu’elle contient exactement, ni si elle a finalement été ou non adoptée. Dans l’air, continueront à flotter des promesses de mesures de nature à flatter les opinions les plus réactionnaires, pas toutes suivies d’effet, tandis que dans la réalité, mais assez loin de la scène publique, aura été échafaudé un dispositif complexe qui, lui, va modifier profondément la donne pour nombre de migrant·es.

Le 18 janvier 2010, Éric Besson, alors ministre de l’immigration, évoque lors de ses voeux à la presse la nécessité de transposer trois directives européennes [1]. Il annonce qu’un projet de loi en conséquence sera déposé « lors du premier trimestre ». Début février, un avant-projet de loi fait une assez curieuse sortie, en deux temps. D’abord, le 12 février, les syndicats de magistrats administratifs (Syndicat de la juridiction administrative et Union syndicale de la magistrature administrative) sont conviés au ministère pour échanger sur un projet de réforme… qui ne leur est pas adressé et dont nul ne connaît encore la teneur ! C’est « par la bande » qu’ils obtiendront le texte, daté du 5 février 2010, et intitulé « projet de loi de transposition de directives relatives à l’entrée et au séjour des étrangers et de simplification des procédures d’éloignement ». Le 18 février, soit à peine une semaine après l’audition des magistrats, sort une autre version du projet de loi, dont seule la mise en page est modifiée. On peine à comprendre cet étrange scénario…

Lire la suite

Aucun commentaire: