21 mai 2011

Observations en vue de l'examen par le Conseil constitutionnel de la loi « relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité »

Observations en vue de l'examen par le Conseil constitutionnel de la loi « relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité »

ADDE, Avocats pour la défense des droits des étrangers ANAFÉ, Association nationale assistance aux frontières pour les étrangers CFDA, Coordination française pour le droit d'asile FASTI, Fédération des association de solidarité avec les travailleurs immigrés GISTI, Groupe d’information et de soutien des immigrés
La Cimade, ODSE, Observatoire du droit à la santé des étrangers SAF, Syndicat des avocats de France SM, Syndicat de la magistrature

18 mai 2011

Dispositions relatives à la zone d'attente

Article 10 Création et délimitation de la zone d’attente

L’article 10 de loi permet la création d’une zone d’attente temporaire pour les étrangers appréhendés alors qu’ils viennent de débarquer sur le territoire, notamment par voie maritime, sans qu’il ait été possible de connaître le lieu précis de leur débarquement.
Il ajoute en effet à l’article L. 221-2 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu'il est manifeste qu'un groupe d'au moins dix étrangers vient d'arriver en France en dehors d'un point de passage frontalier, en un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d'au plus dix kilomètres, la zone d'attente s'étend, pour une durée maximale de vingt-six jours, du ou des lieux de découverte des intéressés jusqu'au point de passage frontalier le plus proche. »
Violation de la liberté individuelle et de l’article 66 de la Constitution
Cette zone d'attente est une fiction – et une fiction dangereuse car son imprécision rend la privation de liberté nécessairement arbitraire.
En premier lieu, l’expression « vient d’arriver » permet toutes les interprétations : le législateur n'a pas estimé utile de préciser la notion de « vient d'arriver » : quelques heures ? quelques jours ? combien de jours ? Quels indices permettront de constater que « manifestement » les étrangers concernés « viennent d’arriver » ?
En second lieu, le périmètre de cette zone d'attente fictive est exorbitant : il suffit que des individus soient découverts sur un ensemble de lieux distants d'au plus 10 km pour que la zone d'attente soit étendue à cet ensemble. Ainsi, si on retrouve dix étrangers éparpillés autours de Toulouse qui
« viennent » d’arriver, on pourra, en application de la loi, créer une zone d’attente allant depuis le point de découverte des intéressés jusqu’à la frontière espagnole, et ceci pendant 26 jours durant lesquels d'autres étrangers « découverts » dans ce périmètre pourront également s’y retrouver.
La loi ne précise pas au surplus où les étrangers trouvés dans cette zone d'attente fictive devront être conduits et dans quel délai.
Il en résulte que la privation de liberté qui résultera d’un « placement » en zone d’attente dans ces conditions sera nécessairement arbitraire : il y a là une violation flagrante de l'article 66 de la Constitution

Atteinte au principe de l’indivisibilité de la République

Les dispositions introduites par la loi ne prévoient pas de rattachement géographique précis à une frontière, ni de définition de la nature et de l’étendue de la zone d’attente « mobile ».
Est ainsi porté atteinte au principe constitutionnel de l'indivisibilité de la République (Déc. n° 76-71 DC du 30 décembre 1976, cons. 5). Si la possibilité de contrôles frontaliers est reconnue sur des portions spécifiques du territoire (contrôle des 20 km, Déc. 93-323 DC du 05 août 1993 ; contrôle frontières terrestres et fluviales Guyane, Déc. 97-389 DC du 22 avril 1997), il doit être préalablement constaté que les zones sont « précisément définies dans leur nature et leur étendue » et présentent « des risques particuliers d'infractions et d'atteintes à l'ordre public liés à la circulation internationale des personnes » (cons. 15, Déc. du 05/08/93 et cons. 72, Déc. du 22/04/97).

Violation de l’objectif d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi

Aucune garantie effective contre le risque d'arbitraire n’est prévue dans l'application de ces dispositions, or, « l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789 » impose au législateur « d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques », nécessaires pour « prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire » (Déc. n° 2007-557 DC, 15 nov. 2007, cons. 19).

Atteinte à des droits fondamentaux, notamment au droit d’asile

Les dispositions critiquées introduisent une exception au principe selon lequel les étrangers en situation irrégulière déjà présents sur le territoire relèvent des procédures d’éloignement et non des procédures de refus d’entrée. Cette confusion entre maintien en zone d’attente et rétention sur le territoire permet de ramener en zone d’attente, en deçà du contrôle frontière, des personnes qui sont déjà entrées sur le territoire de façon irrégulière, ce qui aura pour conséquence de réduire les droits des personnes concernées, y compris lorsqu’elles demandent à entrer sur le territoire au titre de l’asile. Risquent donc d’être violés à la fois le principe de non refoulement proclamé par la Convention de Genève sur les réfugiés et le droit d’asile reconnu par le Préambule de 1946 et auquel le Conseil constitutionnel a reconnu pleine valeur constitutionnelle.

Absence de possibilité de contrôle

Dans la mesure où les zones d’attente sont désormais créées pour une durée indéterminée et ont donc vocation à être éphémères, cette nouvelle nature provisoire et disséminée entrave toute possibilité de contrôle effectif et indépendant, notamment de la part du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou des associations.

Conséquences de l’application du texte en Guyane

A l'heure actuelle il n’existe en Guyane qu’une zone d’attente, située à l’aéroport de Cayenne Rochambeau. Elle est peu utilisée par la police aux frontières. L'article 10-I du projet étend le régime de la zone d’attente à toute arrivée par voie fluviale ou terrestre en Guyane.
Les frontières de la Guyane correspondent principalement au tracé naturel de fleuves. La Guyane partage 510 km de frontières avec le Surinam et 730 km avec le Brésil. Une grande part de ces frontières se situe dans la jungle amazonienne, particulièrement difficile d’accès.
Le texte a donc pour effet de créer une gigantesque zone d’attente de 1200 km de long dans cette jungle. Ainsi, toute personne qui franchirait les frontières fluviales ou terrestres, sans être munie des documents transfrontières, pourrait être « placée » dans cette zone d’attente pendant une période initiale de quatre jours. Un hébergement des maintenus dans un « lieu assurant des prestations hôtelières » est à l’évidence irréalisable, à moins de construire des hôtels sur la canopée. De même la présentation au juge des libertés et de la détention, siégeant parfois à 1000 km de la frontière, semble illusoire.
Cette disposition, qui dénature la notion de zone d’attente et rend impossible l’application du dispositif protecteur prévu par la loi, y compris le contrôle juridictionnel, ne peut qu'être censurée par le Conseil Constitutionnel.

Article 11 Notification et exercice des droits en zone d'attente

Cette disposition vise à introduire à l’article L. 221-4 du Ceseda une règle dérogatoire en matière de notification des droits en zone d’attente, sans qu’elle soit justifiée par des « circonstances exceptionnelles, urgentes ou massives » comme le prévoit l’article18 de la directive « retour ».

« En cas de maintien simultané en zone d’attente d’un nombre important d’étrangers, la notification des droits mentionnés au premier alinéa s’effectue dans les meilleurs délais, compte tenu du nombre d’agents de l’autorité administrative et d’interprètes disponibles. De même, dans ces mêmes circonstances particulières, les droits notifiés s’exercent dans les meilleurs délais. »
Ces nouvelles dispositions – qui peuvent s’appliquer aussi à l’ensemble des ports et des aéroports où existent des zones d’attente « permanentes », en particulier celles de Roissy et Orly – visent à exonérer l’administration de ses obligations en matière de respect des garanties fondamentales accordées aux étrangers privés de liberté.
La police aux frontières pourrait ainsi arguer de l’arrivée simultanée d’un nombre important d’étrangers (ce qui est inhérent aux aéroports internationaux, par exemple à Roissy) pour retarder la notification et la prise d’effet de leurs droits.
Une telle disposition tend à remettre en cause la jurisprudence de la Cour de cassation qui insiste sur l’importance d’une information immédiate des étrangers sur leurs droits (Cass. 1e civ., 31 janv. 2006) :
Attendu que le juge, gardien de la liberté individuelle, s'assure par tous moyens et notamment d'après les mentions figurant au registre prévu à cet effet à l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, devenu l'article L. 553-1 du Code susvisé, émargé par l'intéressé, que celui-ci a été, au moment de la notification de la décision de placement en rétention, pleinement informé de ses droits et placé en mesure de les faire valoir ;

Au-delà de l’atteinte ainsi portée aux droits des personnes privées de liberté et donc aux garanties exigées par l’article 66 de la Constitution, ces dispositions encourent le grief d’incompétence négative. En effet, l’expression « un nombre important d’étrangers » est très vague, de sorte que le législateur délègue en pratique les compétences qu’il tient de l’article 34 de la Constitution à d’autres autorités : le « nombre important d’étrangers » permettant l’allègement des garanties normalement accordées sera laissé à l’appréciation de l’administration en fonction des situations particulières auxquelles elle devra faire face. Or, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel à plusieurs reprises (v. notamment n° 2007-557 DC du 15 nov. 2007) :
« il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; [...] le plein exercice de cette compétence, ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ; [...] il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi ».

Article 12 Purge des nullités

Cet article vise à inscrire dans la loi la règle de la « purge des nullités », signifiant que toute irrégularité soulevée par le requérant après la première audience de prolongation sera une cause d’irrecevabilité, prononcée d’office, en ajoutant à l’article L. 222-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile l’alinéa suivant :
« À peine d'irrecevabilité, prononcée d'office, aucune irrégularité antérieure à l'audience relative à la première prolongation du maintien en zone d'attente ne peut être soulevée lors de l'audience relative à la seconde prolongation. »
Cette nouvelle disposition enjoint en somme au juge judiciaire qui constaterait qu’une irrégularité manifeste violant les droits de l’étranger aurait été commise de feindre de ne pas la voir et de s’interdire de la constater pour ordonner la mise en liberté sur ce fondement.
Cette disposition et une série d’autres examinées plus loin (l’article 13-2° excluant que l’existence de garanties de représentation puissent suffire à justifier le refus de maintenir un étranger en zone d’attente, l’article 57 instituant le même dispositif de purge des nullités dans le cas de la rétention, les articles 14 et 53 qui imposent de ne tenir compte que des irrégularités ayant eu pour effet de porter atteinte aux droits de l’étranger) ont pour caractéristique commune de tendre à « encadrer » – pour reprendre la terminologie adoptée par l’étude d’impact accompagnant le projet de loi (page 121) – le pouvoir d’appréciation du juge des libertés et de la détention. Or le rôle de gardien de la liberté individuelle que l’article 66 de la Constitution lui confère ne peut se concevoir que dans une plénitude de pouvoirs que la loi ne saurait entamer sans impérieuse nécessité. En d’autres termes, le pouvoir du juge judiciaire comme gardien de la liberté ne saurait connaître d’autre limite que celle qu’imposerait la nécessité soit de préserver un principe d’égale valeur soit d’écarter le risque de son arbitraire.
Mais on peine à discerner, en matière de maintien en rétention ou en zone d’attente, les motifs impérieux qui exigeraient ou justifieraient que soient apportées de telles restrictions au pouvoir d’appréciation du juge. Aucun principe à valeur constitutionnelle n’est mis en balance, aucune insuffisance de la loi n’est invoquée dans laquelle le juge pourrait trouver prétexte à un usage détourné de son imperium. Il reste donc à admettre que l’objectif poursuivi serait, cette fois, non plus de l’empêcher de statuer en différant son intervention mais, lorsque sa saisine est devenue incontournable faute d’exécution de la mesure d’éloignement dans le délai de cinq jours, de limiter sa capacité à censurer les atteintes à la liberté résultant des pratiques policières ou administratives.
Or, si la recherche d’une plus grande efficacité ou d’une plus grande célérité dans la mise à exécution des décisions de reconduite à la frontière peut sans aucun doute inspirer le législateur et le conduire à adopter nombre de dispositions susceptibles de favoriser la réalisation de tels objectifs, ils ne sauraient en revanche justifier que soit écartée l’exigence constitutionnelle d’un contrôle plein et entier des atteintes à la liberté individuelle, exclusif de toue amputation du pouvoir d’appréciation du juge.
L’article 12 de la loi, qui méconnaît au demeurant que les nullités susceptibles d’être invoquées par un étranger sont d’ordre public, vise clairement à réduire le pouvoir d’appréciation du juge judiciaire et à l’amputer d’une partie du contrôle sur la régularité de la procédure, qui lui incombe en tant que garant de la liberté individuelle.
Cette purge des nullités amenuise incontestablement les droits des étrangers, et notamment le droit à un recours effectif, en violation de l'article 16 de la Déclaration de 1789, selon lequel « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » - article dont le Conseil constitutionnel a fait découler « le droit [...] à exercer un recours juridictionnel effectif ainsi que le respect des droits de la défense qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'exercice des droits des parties » (2010-62 QPC du 17 décembre 2010, cons. 3).

Article 13 Impossibilité de fonder un refus de prolongation sur la seule existence de garanties de représentation

L’article 13 insère à l’article L. 222-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile la mention selon laquelle : « L'existence de garanties de représentation de l'étranger n'est pas à elle seule susceptible de justifier le refus de prolongation de son maintien en zone d'attente. ». Une des justifications avancée est qu’un refus de prolongation du maintien en zone d’attente aurait pour conséquence de faire obstacle à l’exécution de la mesure administrative de refus d’entrée, sur laquelle le JLD n’a pourtant pas à se prononcer. En outre, en laissant le juge judiciaire fonder ses décisions sur la seule base de l’existence de garanties de représentation on permettrait aux « filières d’immigration clandestine » de produire les pièces justificatives nécessaires en cas de maintien en zone d’attente.
La disposition introduite dans la loi remet pourtant en cause une jurisprudence constante de la Cour de cassation, qui fait du maintien en zone d’attente une simple faculté lorsque l’étranger présente des garanties de représentation suffisantes. Il peut s'agir du fait qu'il possède un billet de retour, une réservation hôtelière, une somme d'argent en espèces ou de la famille en France (Cass. Civ. 2e, 21 février 2002, Gassama, req. n° 00-50.079). Dans tous les cas il doit disposer d’une adresse, en France (CA Paris, 30 mai 2006) ou à l’intérieur de l’espace Schengen.

Sauf à remettre entièrement en cause la nature même du contrôle exercé par le juge judiciaire au regard des principes constitutionnels, la modification suggérée par le gouvernement ne peut être valablement accueillie par le Conseil constitutionnel.
Par cette disposition, il s’agit là encore de restreindre les pouvoirs du juge judiciaire saisi de demandes de prolongation du maintien en zone d’attente : même s’il constate qu’il n’y a pas de « risque » à laisser entrer la personne sur le territoire dès lors que celle-ci justifie de garanties de représentation, le juge ne peut fonder une décision de refus du maintien en zone d’attente sur cette seule constatation. La prolongation du maintien devient donc quasi-automatique.
Une disposition attentatoire à la protection spécifique due aux mineurs étrangers isolés
L’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant – dont le Conseil d’État comme la Cour de cassation ont admis l’applicabilité directe – fait primer l’intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions qui les concernent, et peut être invoquée au bénéfice de certains mineurs placés en zone d’attente. La Cour de cassation a récemment rappelé que la zone d’attente se trouvant sous contrôle administratif et juridictionnel national, les mesures de protection applicables aux mineurs présents sur le territoire national le sont également aux mineurs placés en zone d’attente. Ceux-ci peuvent donc faire l’objet d’une mesure de protection par le juge des enfants au titre des articles 375 et suivants du Code civil (Cass civ 1ère, 25 mars 2009, n°08-14125).

L’interdiction faite au JLD de fonder sa décision uniquement sur l’existence de garanties de représentation pourrait porter atteinte au droit d'un enfant à mener une vie familiale normale consacré par le Conseil constitutionnel (Déc. n° 93-325 DC du 13 août1993), par exemple si les ou l'un des parents de cet enfant sont présents sur le territoire français et prêts à l'accueillir.

Article 14 Limitation des irrégularités susceptibles d’entrainer la fin du maintien en zone d’attente

Cet article introduit à l’article L. 222-8 du Ceseda la disposition suivante :
« Art. L. 222-8. – En cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d’inobservation des formalités substantielles, toute juridiction, y compris la Cour de cassation, qui est saisie d’une demande d’annulation ou qui relève d’office une telle irrégularité ne peut prononcer la mainlevée de la mesure de maintien en zone d’attente que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l’étranger. »
(La même disposition est reprise à l’article 53, dans le cas du maintien en rétention : voir infra).
La loi hiérarchise ainsi les irrégularités suivant qu’elles porteraient ou non atteinte aux droits des étrangers. C’est méconnaître que les nullités susceptibles d’être invoquées par un étranger sont d’ordre public et doivent être considérées comme faisant grief intrinsèquement. En ce sens, la série d’arrêts rendus par la Cour de cassation le 31 janvier 2006 (notamment : Cass. 1e civ., n° 04-50112) rappelant à l’ordre la Cour d’appel de Paris, illustre l’inanité d’une telle disposition.
Attendu que pour écarter l'irrégularité invoquée par l'étranger, tenant à ce qu'en raison du délai déraisonnable et non justifié par une contrainte matérielle de l'Administration qui s'est écoulé entre la notification de son placement en rétention et son arrivée effective au centre de rétention le lendemain à 2 heures 30, il n'a pu avoir accès à ses droits, et confirmer la prolongation de son maintien en rétention, l'ordonnance retient qu'il n'est pas établi que ce délai, alors que l'étranger était sous le régime de la rétention administrative, a eu pour effet de le priver illégitimement de ses droits qui sont attachés à la rétention administrative elle-même et pas seulement à sa présence dans le lieu d'hébergement ;
Qu'en statuant ainsi, alors que M. X... soutenait avoir été maintenu en rétention administrative
pendant huit heures dans une cellule de garde à vue, le premier président, qui ne s'est pas assuré que l'intéressé avait été, au moment de la notification de la décision de placement en rétention, mis en mesure d'exercer effectivement les droits qui lui sont reconnus, n'a pas satisfait aux exigences des textes susvisés ;
La nécessité d’invoquer un grief, ou plutôt une atteinte aux droits, que jusqu’ici, la Cour de cassation avait réservée au cas de la convocation à l’audience, alignera la procédure de zone d’attente et de rétention administrative sur le droit pénal, où il faut établir non seulement l’irrégularité, mais encore le grief qui en découle – ce qui est impossible pour l’étranger placé en zone d’attente ou en rétention.
L’atteinte aux droits risque d’être sujette à une appréciation éminemment subjective. Il suffira au juge, après avoir constaté l’irrégularité, de considérer qu’il n’est pas démontré que celle-ci a porté atteinte aux droits du retenu (par exemple, parce qu’il pouvait exercer ses droits d’une autre manière que celle prévue par le texte, et qu’il n’établit pas qu’il n’a pas pu le faire) pour prolonger le maintien.

Ces dispositions enfreignent l’article 7 de la Déclaration des droits de l’homme qui dispose que : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites ».

Elles violent également l’article 66 de la Constitution qui confie la garantie de la liberté individuelle à l’autorité judiciaire. Le droit à la sûreté implique le pouvoir pour le juge de veiller à ce qu’une mesure privative de liberté ne soit pas accomplie dans des conditions illégales, irrégulières ou qu’elle soit arbitraire. A cet fin, il doit disposer d’un pouvoir de relever, même d’office, toute irrégularité ou illégalité des actes qui affectent la liberté individuelle (contrôle d’identité, garde à vue ou placement en rétention administrative). Priver le juge du pouvoir de relever d’office une telle illégalité revient vider de sa substance la garantie prévue par la Constitution.

Aucune disposition de la Constitution n’autorise le législateur à restreindre les pouvoir de l’autorité judiciaire dans l’exercice de sa compétence en matière de garantie de la liberté individuelle. Si l’article 66 de la constitution prévoit que l’autorité judiciaire assure le respect du principe de sauvegarde de la liberté individuelle « dans les conditions prévues la loi », cette loi doit avoir pour objet de rendre la garantie effective et non de permettre au législateur de neutraliser le pouvoir du juge.

Si le pouvoir d’ordonner une mesure privative de liberté doit être strictement encadré par la loi, celui d’en ordonner la mainlevée ne peut être restreint par la loi.
Les exigences du procès équitable devraient d’ailleurs, elles aussi, interdire qu’une telle disposition puisse avoir pour effet de rendre les droits de l’étranger théoriques ou illusoires.
Article 16 Allongement du délai d’appel suspensif du parquet
L’article 15 modifie l’article L. 222-6 du Ceseda et fait passer de quatre à six heures le délai dont dispose le parquet pour demander au premier président de la cour d’appel que son appel d’une décision de libération par le JLD d’un étranger maintenu en zone d’attente ait un caractère suspensif.

Il convient de rappeler, en préalable, qu’au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le ministère public ne peut être assimilé à l’autorité judiciaire au sens de la Convention. Dès lors, accorder un effet suspensif à l’appel du procureur de la République, faisant ainsi échec à l’autorité d’une décision rendue par un juge du siège, viole nécessairement l’article 66.
De plus, outre que l’allongement de ce délai va faciliter l’usage par le parquet de cette arme redoutable qui permet de neutraliser une décision favorable à l’étranger, il renforce encore l’inégalité des armes inhérente au fait que cet appel suspensif est réservé au seul procureur de la République. Une telle prérogative méconnaît le principe d’égalité des armes dans le procès, le ministère public étant une partie au procès devant être placé sur un pied d’égalité avec le retenu. La Cour de cassation a par exemple, sous la contrainte de la Convention européenne, considéré comme incompatibles avec ce principe les dispositions du Code de procédure pénale qui ouvraient au procureur général un délai d’appel plus long que celui accordé aux autres parties (Cass. Crim. 17 septembre 2008).

La seule circonstance que l’effet suspensif soit accordé par le Premier président de la Cour d’appel, décision préjugeant partiellement mais nécessairement au fond, ne suffit pas à écarter le grief d’une rupture d’égalité des armes, sauf à prévoir parallèlement qu’une décision de prolongation de la rétention puisse faire l’objet d’une déclaration d’appel avec effet suspensif impliquant la remise en liberté dans l’attente de la décision du Premier président.
Cette nouvelle disposition, dont l’objectif est de « faciliter » le travail de l’administration, porte donc une atteinte supplémentaire au droit à un recours effectif et à un procès équitable, expressément garantis par les articles 13 et 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme mais également érigés par le Conseil constitutionnel en principes à valeur constitutionnels, déduits du principe de la séparation des pouvoirs posé par l'article 16 de la Déclaration de 1789 (Voir notamment Déc. n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006).

Restrictions apportées au droit au séjour des étrangers malades
Articles 26, 40, 2° et 70-III


Les articles 26, et par coordination 40, 2° et 70 III en matière de protection contre les mesures d’éloignement et d’assignation à résidence, du projet de loi modifient les articles L. 313-11 11° (admission au séjour), L . 511-4 10° et L. 521-3 5° (mesures d’éloignement), et L. 523-4 (assignation à résidence) du Ceseda :

1° les mots « qu’il ne puisse effectivement bénéficier » sont remplacés par les mots « de l’absence » ;
2° après le mot « originaire » sont insérés les mots « sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l’autorité administrative après avis du directeur général de l’agence régionale de santé ».

Ces nouvelles dispositions relatives aux procédures d’admission au séjour, de protection contre l’éloignement, et d’assignation à résidence des étrangers malades résidant en France sont de nature à porter directement ou indirectement atteinte au secret médical.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel reconnaît que la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen implique le droit au respect de la vie privée, et que ce droit requiert que soit observée une particulière vigilance dans la collecte, la transmission et l’examen d’informations à caractère personnel de nature médicale (Déc. n° 99-422 DC du 21 décembre 1999 et n° 2004-504 DC du 12 août 2004).

Les dispositions légales en vigueur des articles L. 313-11 11° (admission au séjour), L. 511-4 10° et L 521-3 5° (mesures d’éloignement), et L. 523-4 (assignation à résidence) assurent depuis la loi n° 98-349 du 11 mai 1998 une séparation stricte et claire entre :

- d’une part, l’avis rendu par l’autorité médicale (le médecin de l’Agence Régionale de Santé) émis au vu d’un rapport médical concernant la situation du demandeur ; ce rapport médical « qui comprend des renseignements confidentiels liés au diagnostic, au traitement et aux perspectives d’évolution de la pathologie doit être transmis au médecin inspecteur de la santé publique (aujourd’hui le médecin de l’Agence Régionale de Santé) par le médecin agréé ou le praticien hospitalier, sous pli confidentiel portant la mention "secret médical"» (circulaire IMI/M/08/00021/C du 25 février 2008) ;

- d’autre part, l’intervention de l’autorité préfectorale qui statue sur la demande d’admission au séjour pour raison médicale au vu de l’avis médical rendu par le médecin de l’Agence Régionale de Santé qui ne doit comporter aucune information qui puisse être de nature à divulguer le secret médical auprès de l’administration.

Comme le rappelle ainsi la circulaire DPM/CT/DM2-3/DGS n°2000-248 et NOR/INT/D/00/00103/C du 5 mai 2000, la procédure prévue par les dispositions légales actuelles « vise à préserver le secret médical, tout en s’assurant que le demandeur remplit les conditions fixées par la loi ».
Or, les dispositions introduites par la loi ne sont pas assorties des garanties et précisions suffisantes pour assurer avec la certitude d’une stricte confidentialité des informations à caractère médical lors des procédures prévues aux articles L313-11 11° (admission au séjour), L511-4, 10° et L521-3, 5° (mesures d’éloignement), et L.523-4 (assignation à résidence) du Ceseda.

En effet, en prévoyant dans les dispositions d’un même article du Ceseda, d’une part, une procédure pour raison médicale respectivement soit d’admission au séjour (art. L. 313-11, 11°), soit de protection contre l’éloignement (respectivement art. L. 511-4, 10° et L. 521-3, 5°), soit d’assignation à résidence (art. L. 523-4), impliquant l’intervention du médecin de l’agence régionale de santé afin de garantir la préservation du secret médical, et d’autre part, une procédure d’appréciation par le préfet après avis du directeur général de l’agence régionale de santé, tous deux autorités non médicales, d’une éventuelle « circonstance humanitaire exceptionnelle », le législateur n’a pas prévu les garanties suffisantes pour s’assurer que, à l’occasion de ces procédures mixtes, la transmission des informations médicales à caractère personnel ne soit faite que vers les seules autorités médicales et dans le strict respect du secret médical.

Pénalisation des « mariages gris »
Article 33


L’article 33 de la loi ajoute à l’article L. 623-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile une phrase ainsi rédigée :
« Ces peines sont également encourues lorsque l'étranger qui a contracté mariage a dissimulé ses intentions à son conjoint. »
Depuis la loi de 2003 sur l’immigration, renforcée par la loi 2006 relative au contrôle de validité des mariages, le fait de contracter un mariage en vue d’obtenir la régularisation du séjour, une protection contre l’éloignement ou la nationalité française, est passible de sanctions pénales (l’article L. 623-1 du Ceseda prévoit une sanction de cinq ans d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende).

La disposition critiquée introduit la notion de « mariage gris » qui prévoit une nouvelle sanction pénale à l’égard des personnes étrangères qui auraient trompé leur conjoint sur leurs sentiments en vue d’obtenir la régularisation de leur situation. Le mariage gris s’ajoute au « mariage blanc », qui suppose que les deux conjoints se sont entendus pour détourner la finalité de l’union. Dans le mariage blanc, la faute est partagée par les deux conjoints, dans le mariage gris la faute incombe uniquement à la personne étrangère.

L’objectif poursuivi semble clairement établi : il s’agit de mettre de nouveaux obstacles à l‘exercice du droit au mariage, en vue de « réduire l’immigration légale », comme le ministre de l’immigration l’a récemment déclaré. Cette nouvelle mesure vise de façon unilatérale les personnes étrangères et constitue une atteinte inconstitutionnelle au principe d’égalité devant la loi. Elle renforce de surcroit les possibilités de contrôle du mariage des couples mixtes et entrave le droit de mener une vie familiale et normale.

– L’introduction d’une sanction supplémentaire du vice de consentement pour la personne étrangère : une rupture du principe d’égalité devant la loi

Les règles relatives au contrôle de la validité du mariage doivent s’appliquer à tous les couples quelle que soit la nationalité des futurs époux, conformément à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui rappelle que « la loi doit être la même pour tous ».

En instaurant une sanction pénale à l’égard de la personne étrangère, la loi établit une discrimination injustifiée. En droit civil, pour un mariage entre nationaux, le vice du consentement entraîne la nullité du mariage (art. 180 du code civil) et éventuellement une prestation compensatoire pour l’époux de mauvaise foi (Cass., 1e civile, 23 octobre 1990). La tromperie n’entraîne pas de sanction pénale. Punir la personne étrangère soupçonnée de fraude dans le cas du « mariage gris » constitue donc une discrimination contraire au principe d’égalité qui découle de la Constitution ainsi que des textes internationaux ratifiés par la France. Car si le principe d’égalité n’interdit pas au législateur d’instituer des différences de traitement, notamment entre étrangers et nationaux, il faut que ces différences de traitement soient justifiées par une différence de situation en rapport avec l’objet de la loi. Or ici, de toute évidence, il n’existe aucune différence de situation objective entre les conjoints étrangers et nationaux qui justifierait que seuls les premiers voient leur insincérité pénalement sanctionnée.

– Contrôle supplémentaire sur les mariages « mixtes » : une atteinte au droit à la vie familiale normale et à la liberté du mariage

Il appartient au législateur de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République.
Le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 dispose que " la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ". Il résulte de cette disposition que les étrangers dont la résidence en France est stable et régulière ont comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale. Par ailleurs, les méconnaissances graves du droit au respect de leur vie privée sont, pour les étrangers comme pour les nationaux, de nature à porter atteinte à leur liberté individuelle. (97-389 DC, 22 avril 1997, Journal officiel du 25 avril 1997, p. 6271, cons. 44, Rec. p. 45)

La liberté du mariage, composante de la liberté personnelle, qui résulte des articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 figure au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a censuré à plusieurs reprises des dispositions contraires à la liberté du mariage. Ainsi, en 1993, il a invalidé une disposition qui obligeait l’officier d’état civil à saisir le procureur de la République lorsqu’il existait des indices sérieux laissant présumer que le mariage n’était envisagé que dans un but autre que l’union matrimoniale, pouvant entraîner la suspension de la célébration du mariage pendant trois mois sans possibilité de voie de recours. Comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel : « en subordonnant la célébration du mariage à de telles conditions préalables, ces dispositions méconnaissent le principe de la liberté du mariage qui est une des composantes de la liberté individuelle » (Déc. n° 93-325 DC du 13 août 1993, § 107).

De même, à propos de la loi du 26 novembre 2003, il a estimé contraire au « respect de la liberté du mariage » une disposition prévoyant le signalement à l’autorité préfectorale de la situation d’un étranger accomplissant les formalités de mariage sans justifier de la régularité de son séjour qui aurait été de nature « à dissuader les intéressés de se marier » (Déc. n° 2003-484 DC 20 novembre 2003, Loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, § 94-96).

Ajouter une possibilité de sanction contre l’absence de sincérité du mariage revient à mettre un obstacle supplémentaire à la liberté du mariage.
Ce contrôle de la sincérité des sentiments d’une personne est de surcroît quasiment irréalisable en droit. Quelles informations permettront de forger la conviction du juge sur l’intension frauduleuse de la personne étrangère souhaitant contracter ou qui a contracté mariage ? Quels éléments concrets vont venir étayer cette présomption supposée de la volonté d’abuser une personne ? On voit mal des juges trancher un conflit à propos d’ « intentions sentimentales », le moindre fait pouvant être instrumentalisé ou détourné à charge par les conjoints. Cette disposition risque donc de se muer en une véritable intrusion dans la vie privée des couple, mettant en danger le droit de toute personne au respect de sa vie privée.

Enfin, la loi organise déjà la vérification de la sincérité du mariage, à toutes les étapes de la procédure : avant délivrance du visa par la France, avant la délivrance du titre de séjour, avant la célébration des unions, avant la transcription des mariages célébrés à l’étranger etc.
Au demeurant, dans tous les cas, « tout mariage contracté en contravention aux dispositions contenues aux articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162 et 163 peut être attaqué, dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, soit par les époux eux-mêmes, soit par tous ceux qui y ont intérêt, soit par le ministère public. » (Code civil, art. 184 modifié par L. no 2008-561, 17 juin 2008, art. 7, II). On peut par conséquent s’interroger sur l’utilité même de la nouvelle disposition.

Les décisions d’éloignement et leur mise en œuvre
Article 37


L’article 37 de la loi déférée vise à transposer une partie des dispositions de la directive européenne n° 2008/115/CE, dont le délai de transposition est arrivé à expiration le 24 décembre 2010. L’obligation de transposer les directives européennes implique nécessairement que cette transposition soit conforme à la lettre et au but poursuivi par la directive. Il appartient donc au Conseil constitutionnel d’exercer un contrôle de « l’erreur manifeste d’appréciation » sur les dispositions législatives transposant les directives européennes (Déc. n° 2006-104 DC du 27 juil. 2006).

On entend démontrer ici que la procédure d’éloignement mise en place par la loi n’est pas conforme à celle qui est prévue par la directive.
Le Conseil constitutionnel a résumé en ces termes les obligations propres à une loi de transposition (voir notamment décision précitée) :
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 88-1 de la Constitution : " La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences " ; qu'ainsi, la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle ; 18. Considérant qu'il appartient par suite au Conseil constitutionnel, saisi dans les conditions prévues par l'article 61 de la Constitution d'une loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive communautaire, de veiller au respect de cette exigence ; que, toutefois, le contrôle qu'il exerce à cet effet est soumis à une double limite ; 19. Considérant, en premier lieu, que la transposition d'une directive ne saurait aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ; 20. Considérant, en second lieu, que, devant statuer avant la promulgation de la loi dans le délai prévu par l'article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel ne peut saisir la Cour de justice des Communautés européennes de la question préjudicielle prévue par l'article 234 du traité instituant la Communauté européenne ; qu'il ne saurait en conséquence déclarer non conforme à l'article 88-1 de la Constitution qu'une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu'elle a pour objet de transposer ; qu'en tout état de cause, il revient aux autorités juridictionnelles nationales, le cas échéant, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes à titre préjudiciel ;
Pour savoir si les dispositions introduites par la loi méconnaissent manifestement l'objectif de la directive, il convient de se référer à l’arrêt El Dridi du 28 avril 2011 de la CJUE.

– La Cour rappelle en ces termes l’objectif de la directive :
À cet égard, il y a lieu de rappeler que, aux termes de son deuxième considérant, la directive 2008/115 poursuit la mise en place d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement fondée sur des normes communes, afin que les personnes concernées soient rapatriées d’une façon humaine et dans le respect intégral de leurs droits fondamentaux ainsi que de leur dignité.

– Elle précise à quelles conditions les États peuvent déroger aux normes et procédures communes établies par la directive :
Ainsi qu’il résulte tant de son intitulé que de son article 1er, la directive 2008/115 établit les «normes et procédures communes» qui doivent être appliquées par chaque État membre au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Il découle de l’expression susmentionnée, mais aussi de l’économie générale de cette directive, que les États membres ne peuvent déroger auxdites normes et procédures que dans les conditions prévues par celle-ci, notamment celles fixées à son article 4.

Il s’ensuit que, si le paragraphe 3 de cet article 4 confère aux États membres la faculté d’adopter ou de maintenir des dispositions plus favorables pour les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier que celles de la directive 2008/115, pour autant que ces dispositions sont compatibles avec celle-ci, toutefois, cette directive ne permet pas auxdits États d’appliquer des normes plus sévères dans le domaine qu’elle régit.

– Elle précise encore quelles sont les normes et procédures communes établies par la directive :
Il convient de relever également que la directive 2008/115 établit avec précision la procédure à appliquer par chaque État membre au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier et fixe l’ordre de déroulement des différentes étapes que cette procédure comporte successivement.
Ainsi, l’article 6, paragraphe 1, de cette même directive prévoit tout d’abord, à titre principal, une obligation pour les États membres de prendre une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire.

Dans le cadre de cette étape initiale de la procédure de retour, une priorité doit être accordée, sauf exceptions, à l’exécution volontaire de l’obligation résultant de la décision de retour, l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2008/115 disposant que cette décision prévoit un délai approprié allant de sept à trente jours pour le départ volontaire.
Il résulte de l’article 7, paragraphes 3 et 4, de ladite directive que ce n’est que dans des circonstances particulières, telles que l’existence de risque de fuite, que les États membres peuvent, d’une part, imposer au destinataire d’une décision de retour l’obligation de se présenter régulièrement aux autorités, de déposer une garantie financière adéquate, de remettre des documents ou de demeurer en un lieu déterminé ou, d’autre part, prévoir un délai de départ volontaire inférieur à sept jours, voire s’abstenir d’accorder un tel délai.
38 Dans cette dernière hypothèse mais aussi dans une situation dans laquelle l’obligation de retour n’a pas été respectée dans le délai accordé pour le départ volontaire, il ressort de l’article 8, paragraphes 1 et 4, de la directive 2008/115 que, dans le but d’assurer l’efficacité des procédures de retour, ces dispositions imposent à l’État membre, qui a adopté une décision de retour à l’encontre d’un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier, l’obligation de procéder à l’éloignement, en prenant toutes les mesures nécessaires, y compris, le cas échéant, des mesures coercitives, de manière proportionnée et dans le respect, notamment, des droits fondamentaux.

– Elle en déduit les obligations du législateur vis-à-vis du droit de l'Union et de la directive « retour ».
En particulier, lesdits États ne sauraient appliquer une réglementation, fût-elle en matière pénale, susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par une directive et, partant, de priver celle-ci de son effet utile.
En effet, aux termes respectivement des deuxième et troisième alinéas de l’article 4, paragraphe 3, TUE, les États membres, notamment, «prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union» et «s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union», y compris ceux poursuivis par les directives.
S’agissant, plus spécifiquement, de la directive 2008/115, il y a lieu de rappeler que, aux termes de son treizième considérant, elle subordonne expressément le recours à des mesures coercitives au respect des principes de proportionnalité et d’efficacité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis.
La loi de transposition doit donc subordonner l'assignation à résidence et le placement en rétention (la privation de liberté elle-même, mais également la procédure conduisant à cette privation de liberté) aux principes de proportionnalité et d'efficacité des moyens utilisés par rapport aux objectifs poursuivis et dans le respect des droits fondamentaux, dont celui de la dignité de la personne humaine.

OQTF et définition du « risque de fuite »

L’existence d’un « risque de fuite » entraîne la suppression de la possibilité d'accorder un délai de départ volontaire à l'étranger frappé d'une mesure d'éloignement, alors que le délai de départ volontaire doit être accordé par priorité (cf. § 36 arrêt El Dridi).
L’article 3 § 7 de la directive 2008/115/CE dispose que « Aux fins de la présente directive, on entend pas (...) : Risque de fuite : le fait qu’il existe des raisons, dans un cas particulier et sur la base de critères objectif définis par la loi, de penser qu’un ressortissant d’un pays tiers faisant l’objet de procédures de retour peut prendre la fuite ».
Si la directive laisse aux Etats membres le soin de définir ce qu'est un "risque de fuite" par voie législative, il convient que cette définition réponde aux objectifs de proportionnalité et d'efficacité dans le respect des droits fondamentaux.

Or, l'article 37 de la loi est manifestement contraire aux objectifs de proportionnalité du droit européen.
Les critères objectifs retenus par le législateur doivent se rattacher directement au comportement de l’étranger et des considérations de faits propres à chaque cas, de sorte que, par exemple, la seule circonstance qu’un étranger se trouve en situation irrégulière sur le territoire français (après y avoir pénétré irrégulièrement (a), après l’expiration de son visa ou de la durée pour laquelle il fût autorisé à y séjourner (b) ou ne pas avoir demandé le renouvellement de son autorisation de séjour (c)) ne saurait suffire à faire présumer que l’intéressé entendrait de soustraire à une mesure d’éloignement, de même que le fait de ne pas disposer d’un document d’identité ou un passeport en cours de validité (f).
Le caractère très large des « critères objectifs » retenus par la loi conduit à systématiser la notion de « risque de fuite », en écartant l’appréciation au cas par cas prévue par la directive. Bien au contraire, un renversement de la charge de la preuve est instauré, et ce sera à l’étranger à démontrer dans un cadre excessivement restreint (« sauf circonstance exceptionnelle ») que le risque de fuite n’existe pas, ce qui revient à exiger de lui une preuve impossible.
Enfin, la loi précise que « ce risque est regardé comme établi ». Une telle rédaction fait obstacle, d’une part, à la liberté d’appréciation de l’autorité administrative et, d’autre part, au pouvoir souverain du juge administratif de qualifier le comportement de l’étranger et d’exercer, par suite, un contrôle de légalité effectif sur la décision refusant d’accorder un délai.
La notion de fuite implique nécessairement un élément matériel et un élément moral. Ce risque ne peut être exclusivement déduit d’une simple circonstance matérielle, sauf dans des cas précis comme la soustraction antérieure à une mesure d’éloignement, sans que soit établi le caractère intentionnel du fait reproché.

A cet égard, le Conseil d’Etat, qui a été amené à interpréter la notion de fuite au sens du droit communautaire, considère que la fuite ne peut être établie que si l’étranger se soustrait de manière systématique et intentionnelle au contrôle de l’autorité administrative dans le but de faire obstacle à l’exécution de la mesure d’éloignement (CE, 18 octobre 2006, n° 298101 ; CE, 16 décembre 2010, n° 344864).

Or la rédaction de l’article 37 fait obstacle à ce que le caractère intentionnel ou non de la circonstance alléguée soit recherché par l’administration ou démontré par l’intéressé.
Le caractère automatique de la qualification du risque de fuite, en ce qu’il fait obstacle à ce que l’étranger fasse valoir des éléments de fait de nature à contredire cette analyse, fait obstacle à ce qu’il jouisse d’un droit au recours effectif dans la mesure où le contrôle ne portera pas sur l’élément intentionnel.

On montrera ici, en reprenant une à une les différentes hypothèses prévues par la loi, que les dispositions relatives à la définition de la notion de « risque de fuite » sont entachées d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’elles dénaturent les exigences de la directive 2008/115/CE.

Le risque de fuite est caractérisé, au sens de la loi :
« 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants :

« a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;
Aucun délai entre l'entrée sur le territoire et la découverte de la situation irrégulière de l'étranger n'est prévu. Ceci est disproportionné, puisque des étrangers, par le seul fait d'une entrée irrégulière, pourraient être privés de délai de départ volontaire. Tout comme des étrangers qui ne feraient que transiter en vue de quitter le territoire Schengen.
Par ailleurs, il est abusif d’assimiler le « défaut de demande de titre » à un « risque de fuite », si les textes ne laissent aucun laps de temps à l'étranger pour préparer sa demande. Ainsi, beaucoup de demandeurs potentiels d'asile se trouvent dans la situation du 1°. Le risque de refoulement de personnes pouvant prétendre à une protection internationale est donc très important.
On sait enfin que les pratiques de certaines préfectures rendent parfois impossible le simple dépôt d'une demande de titre de séjour. Par exemple, la préfecture de Versailles n’accepte que trois dépôts de dossier par jour, tandis que d’autres préfectures - comme celle de Toulouse en matière de titre de séjour « étranger malade » jusqu’à ce qu’elle se fasse condamner par la justice administrative - refusent purement et simplement les dépôts de dossiers. Il y a tout lieu de craindre qu’un automatisme résulte, de fait, de cette énumération, bien que l’étude d’impact du projet de loi s’en défende.

« b) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; La même observation peut être faite. Aucun délai entre l'expiration de la validité du visa et la découverte de l'irrégularité de la situation n’est prévu par le texte, ce qui donne au dispositif un caractère disproportionné.
Cette hypothèse laisse présager des situations ubuesques : ainsi lorsque l'étranger arrivé à l’expiration de son visa ne voudra pas demander de titre de séjour parce qu’il aura l'intention de rentrer dans son pays, mais que, pour des raisons diverses (problèmes de santé, de famille), il n’aura pas pu quitter le territoire en temps voulu.

« c) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, de son récépissé de demande de carte de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ;
La disproportion ici résulte du fait qu'on ne peut automatiquement estimer qu'un étranger présente un risque de fuite lorsqu'il a omis de renouveler son titre de séjour, son récépissé ou son autorisation provisoire de séjour car il est dans l'intérêt de l'étranger de le renouveler, de sorte que l'absence de renouvellement ne peut être considérée comme un risque de fuite, mais le signe d'un incident de parcours qu'il serait disproportionné de sanctionner par la suppression du délai de départ volontaire.
Assimiler l’absence de démarches en vue de régularisation à un risque de fuite est une interprétation exorbitante. L’exercice procède d’un raisonnement spécieux, qui consiste à considérer que si un étranger n'a pas cherché à régulariser sa situation, il ne se soumettra pas volontairement à une mesure d'éloignement.

« d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ;
L'imprécision de la notion de "soustraction" rend cette définition disproportionnée. Aucun comportement volontaire d'obstruction n'est ici envisagé concrètement (par exemple : refus d'embarquer, refus de coopérer avec les autorités consulaires du pays d'origine pour l'établissement d'un laissez-passer, etc...).

« f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité, ou qu'il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente, ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues par les articles L. 513-4, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2.

Cette dernière hypothèse, non prévue par la directive, est particulièrement disproportionnée car elle laisse toute latitude à l’administration pour édicter une mesure lourde de conséquences pour l’étranger, alors qu’il n’est pas rare qu’il n’ait pas de document de voyage ou d’identité en cours de validité, tout simplement parce qu’il n’a pas pu en obtenir le renouvellement en France (de nombreux consulats n’acceptent ce renouvellement qu’à condition que la personne soit en situation régulière). Il sera de surcroît toujours possible pour l’administration d’invoquer l’insuffisance des garanties de représentation et extrêmement difficile pour un étranger d’apporter une preuve contraire.

De plus, si l’administration « découvre » cette situation pendant le délai de départ volontaire, elle peut supprimer le délai de départ volontaire avec toutes les conséquences que cela entraîne en termes procéduraux et d’interdiction de retour sur le territoire français.
Ainsi, les critères retenus par le législateur ont pour effet de faire entrer dans le champ de cette exclusion la majorité des étrangers en situation irrégulière qui, par définition, résideront sur le territoire soit parce qu’ils n’auront pas sollicité de titre de séjour, soit parce qu’ils n’auront pas renouvelé leur titre de séjour, soit parce qu’un refus leur aura été opposé antérieurement et qu’ils n’auront pas exécuté ladite décision.

En outre, la dispense de délai pour quitter le territoire est prévu par la directive à titre exceptionnel, le principe étant, pour toute personne faisant l’objet d’une procédure de retour, de lui offrir la possibilité de quitter le territoire volontairement.
L'article 37, dans la définition qu’il donne du « risque de fuite », est donc manifestement contraire à la directive 2008/115.

Article 37 Interdiction de retour sur le territoire français

L’article 37 introduit à l’article L. 511-1-III du Ceseda une mesure nouvelle : l’interdiction de retour sur le territoire français, prononcée par l’autorité administrative, accompagnant une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
L’interdiction de résider sur le territoire français constitue une sanction, une peine, au sens de l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (Déc. n° 93-325 DC). Comme le rappelle Bruno Genevois, « la jurisprudence est fixée en ce sens qu'une peine ne peut être infligée qu'à la condition que soient respectés le principe de la légalité des délits et des peines, le principe de nécessité des peines, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale d'incrimination plus sévère ainsi que les droits de la défense » (RFDA, 1993, p. 871 s). Dans sa décision du 30 décembre 1982 (n° 82-155 DC), le Conseil constitutionnel a estimé que l’article 8 s’appliquait non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition, même prononcée par une autorité non juridictionnelle (Décision n° 92-307 DC, cons. 25 et 26).
Dans ces conditions, une sanction tendant à interdire le séjour sur le territoire français doit, pour respecter le principe de proportionnalité, être prise au terme d’une procédure contradictoire, par une autorité présentant des garanties de neutralité. Ainsi Jean-Marie Delarue a pu estimer que si des sanctions de nature administrative pouvaient être justifiées, « encore faut-il qu'elle[s] soi[en]t infligée[s] avec quelques solides garanties qui sont, précisément, avec celles qui s'attachent aux droits de la défense, celles qui tendent à l'impartialité de celui qui la prononce. La qualité de ce dernier ne suffit plus, puisque, au contraire, elle éveille le soupçon. Il lui faut administrer la preuve qu'il est, dans l'affaire en cause, dénué du moindre intérêt, au risque d'ailleurs d'avoir à s'engager dans une justification sans véritable limite » (« Actualité de la problématique de la sanction administrative », AJDA 2001, p. 13).

C’est la raison pour laquelle une sanction d’interdiction de retour ne peut être prise que par une autorité distincte présentant des garanties d’indépendance et d’impartialité au terme d’une procédure respectueuse des droits de la défense.
En outre, le caractère imprécis des dispositions encadrant l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’autorité administrative, notamment dans sa faculté de ne pas prononcer une interdiction de retour ou de faire droit ou de refuser de faire droit à une demande d’abrogation n’est pas conforme au principe de légalité et à l’exigence de sécurité juridique. En effet, si, pour éviter la censure du Conseil constitutionnel, le législateur a pris soin de ne pas prévoir l’automaticité de l’interdiction de retour, les dispositions précitées ne permettent pas d’empêcher en fait que ces interdictions aient un caractère systématique.
Article 47 Assignation à résidence sous surveillance électronique
L’article L. 562-1 du Ceseda dans sa rédaction issue de la loi donne la possibilité pour l’administration de placer un étranger sous surveillance électronique.
Or la surveillance électronique constitue une modalité d’exécution d’une peine privative de liberté à caractère pénal. Ainsi, le législateur ne peut, pour des motifs de police administrative, prévoir des modalités d’exécution de ses décisions dans des conditions similaires à des mesures répressives qui, en outre, ne peuvent être décidées, initialement, que par l’autorité judiciaire.

L’article L. 561-2 du Ceseda précise par ailleurs que cette mesure « emporte, pour l’étranger, interdiction de s’absenter de son domicile ou de tout autre lieu désigné (...) ».
Bien que présentée comme une mesure d’assignation à résidence, la restriction portée à la liberté d’aller et venir est comparable à une privation de liberté dès lors que l’intéressé peut être interdit de sortir de son domicile ou que le périmètre ans lequel il est autorisé à évoluer est excessivement restreint (Voir dans ce sens CEDH, Guzzardi c/ Italie, 6 nov. 1980, Série A, n° 33).
En outre, tout étranger retenu doit disposer de certains droits dont l’exercice se trouve restreint par les modalités de mise en œuvre de cette mesure. En effet, l’intéressé dispose d’un délai de 48 heures pour exercer un recours contre la mesure d’éloignement. Or, les associations présentes dans les centres de rétention n’ont pas reçu pour mission de procéder aux visites des retenus à leur domicile. En outre, si les intéressés peuvent recevoir la visite d’un avocat d’office ou de leur avocat, celui-ci ne disposera pas sur place des moyens de communication pour assurer l’exercice des droits, tel qu’un fax. Compte tenu des délais plaçant cette procédure sous le signe de l’urgence, il peut s’avérer que l’assignation à résidence dans le seul domicile fasse obstacle à l’exercice effectif des droits. Il y a donc ici une violation de l’article 66 de la Constitution.

Mise en œuvre et contentieux de l’éloignement

Article 44 Privation de liberté pendant cinq jours sur simple décision administrative
Dans sa nouvelle rédaction issue de l’article 44 de la loi, l’article L. 551-1 prévoit que l’étranger sous le coup d’une mesure d’éloignement qui n’a pas été assigné à résidence et « qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l’autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, pour une durée de cinq jours ».
Il en résulte que l’intervention du juge judiciaire est reportée à l’issue de ce délai de cinq jours (voir infra, commentaire sous article 51).
Contentieux administratif

Article 48 Recours contentieux contre une OQTF

L’article 48 de la loi modifie l’article L. 512-1-I du Ceseda lequel dispose notamment que l’étranger peut « demander au tribunal l’annulation de cette décision [OQTF] ainsi que l’annulation de la décision relative au séjour, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d’interdiction de retour sur le territoire français ».
Or, aux termes de l’article 13 §2 de la directive, l’autorité ou l’instance compétente pour statuer sur le recours dirigé contre une décision de retour ou une interdiction d’entrée a compétence pour « réexaminer » lesdites décisions et « peut notamment en suspendre temporairement l’exécution ».
La seule circonstance que le code de justice administrative prévoie une procédure de demande de suspension (L. 521-1 CJA) ne rend pas compatible le dispositif dès lors que cette procédure spéciale est soumise à une condition d’urgence, laquelle n’est pas exigée par la durective «retour».
Ainsi, dès lors que l’article 48 a limité l’office du juge à la seule possibilité d’annuler les décisions portant obligation de quitter le territoire et interdisant le retour sans prévoir qu’il puisse en suspendre l’exécution, cette disposition n’est pas compatible avec la directive « retour ».

En outre l’article 13 §3 de la directive « retour » » dispose qu’un étranger concerné par une décision de retour a la possibilité d’obtenir, en cas de besoin, une assistance linguistique.
Or cette assistance n’est prévue par la loi qu’au stade de l’audience dans la seule hypothèse où l’intéressé serait placé en rétention administrative (art. L. 512-1-III al. 3 modifié).

Contentieux judiciaire

Article 51 Intervention retardée du juge des libertés
Tandis que l’article 44 prévoit la possibilité de placer un étranger en rétention sur simple décision administrative pour une durée de cinq jours, l’article 51 de la loi reporte l’intervention de l’autorité judiciaire, afin d’autorisation de la prolongation de la mesure, au terme de ce délai de cinq jours de rétention administrative
Aux termes de l’article 5§3 de la CEDH, « Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience ».
A titre liminaire, il doit être rappelé que le parquet n’est pas une autorité judiciaire au sens de l’article 5 CEDH. Le contrôle qu’il exerce sur la garde à vue et à la rétention ne satisfait donc pas aux exigences du doit à la sûreté qui impose que toute mesure privative de liberté doit être soumise au contrôle de l’autorité judiciaire.
Il faut d’abord rappeler les conséquences concrètes de cette disposition.

– Mécaniquement, si l’autorité administrative doit saisir le juge au terme du délai de 5 jours et que celui-ci dispose de 24 heures pour statuer, l’étranger se verra présenter à un juge dans un délai qui variera de 7 à 8 jours après avoir été placé sous la contrainte car on doit ajouter à la période de rétention celle de la garde à vue qui est prévue pour une durée initiale de 24 heures, laquelle peut être prorogée pour la même durée pour des motifs tenant à la seule nécessité de tenir l’intéressé à la disposition de l’administration (Cour de cassation, Ch. Mixte, 7 juillet 2000).

– Retarder l’intervention du juge judiciaire créera des situations dans lesquelles les actes susceptibles d’avoir porté attente à la liberté individuelle (interpellation et garde à vue) ne seront pas soumis à l’examen de l’autorité judiciaire, notamment lorsque les mesures d’éloignement seront exécutées dans le délai de 5 jours (hypothèses où l’administration dispose du passeport en cours de validité par exemple ou d’une pièce d’identité permettant la mise en œuvre de l’éloignement, tel que cela se présente pour les ressortissants roumains).
A supposer que le juge administratif soit saisi d’une demande d’annulation de l’arrêté de placement en rétention, il n’est pas compétent pour les examiner ou censurer la régularité des actes procédure antérieurs à la rétention administrative (procédure judiciaire). L’exécution de la mesure d’éloignement avant le terme de rétention administrative initiale empêche l’autorité judiciaire d’examiner la régularité des actes.
Afin que le droit au respect de la liberté individuelle ne soit pas purement théorique, il est nécessaire que le contrôle des actes ayant affecté cette liberté individuelle (interpellation, garde à vue et rétention) soit systématique. Une telle exigence implique donc que l’autorité judiciaire puisse être en mesure d’examiner la procédure privative de liberté avant l’exécution de la mesure d’éloignement.
Dans ces conditions, les dispositions adoptées par le législateur qui portent à cinq jours le délai au terme duquel l’autorité judiciaire sera saisie sont incompatibles avec l’article 66 de la Constitution (1). Elles sont également manifestement incompatibles avec la directive qu’elles sont censées transposer (2).

Violation de l’article 66 de la Constitution et méconnaissance des exigences que le Conseil constitutionnel en a inférées en matière de rétention.
L’inconstitutionnalité de ces dispositions s’induit d’abord de ce qu’elles méconnaissent les exigences résultant de la décision n° 79-109 DC du Conseil, selon laquelle « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible » (9 janvier 1980, cons. 4).
A cet égard, le délai de cinq jours institué par la loi ne peut, de toute évidence, être regardé comme le plus court possible. Outre les pertinentes observations des auteurs de la saisine parlementaire, on ajoutera seulement, sur ce point, que le simple bon sens impose ce constat.
Les promoteurs de la disposition ainsi critiquée peineraient en effet à démontrer en quoi il serait devenu impossible de respecter le délai de 48 heures applicable depuis le 25 avril 1997, date d’entrée en vigueur de la loi n° 97-396 du 24 avril 1997 qui avait porté ce délai de 24 à 48 heures. L’administration a pu, depuis cette date, s’accommoder de ce délai dans des conditions qui n’ont révélé aucune difficulté insurmontable justifiant que soit aujourd’hui écartée l’obligation constitutionnelle d’assurer au juge judiciaire un contrôle effectif et rapide des mesures susceptibles de porter atteinte à la liberté individuelle.
Aucune circonstance de fait nouvelle, aucune modification de l’état du droit positif ne peuvent justifier l’évitement du juge judiciaire que ces dispositions organisent à dessein, par défiance à son égard.
Car la seule circonstance qui commande, en réalité, cette mise à l’écart par la loi de l’exigence constitutionnelle du contrôle juridictionnel des atteintes à la liberté individuelle tient à la volonté d’atteindre des objectifs quantitatifs en forte augmentation en matière d’éloignement des étrangers en situation irrégulière, objectifs dont ce contrôle viendrait compromettre la réalisation.
C’est ce qui résulte clairement du rapport établi en juillet 2008 par la « Commission sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d’immigration » (dit « rapport Mazeaud »). Son auteur constate en effet que « l’augmentation importante du nombre d’interpellations réalisées par les services de police, comme celle du nombre de décisions relatives au séjour et à l’éloignement prises par les services des préfectures, contribueraient à une meilleure maîtrise du flux migratoire si, en aval, les services compétents restaient en mesure de veiller à la régularité des procédures ou d’apprécier l’opportunité de prendre une décision de refus de séjour ou un arrêté de reconduite à la frontière ». Et le même rapport de souligner que « tel n’est pas le cas », ajoutant : « En partie imputables à un activisme qui n’aurait pas les moyens de ses fins, de nombreuses erreurs de fond, et surtout de procédure, sont commises par les services de police ou de gendarmerie surchargés ... Ces erreurs exposent l’administration à être désavouée par le juge. Souvent inéluctable, la censure juridictionnelle met alors à néant un travail administratif qui, en dépit des irrégularités commises, pouvait être justifié sur le fond ».
Ainsi la disposition critiquée apparaît-elle trop clairement comme le moyen le plus sûr d’éviter des censures juridictionnelles « inéluctables » en écartant purement et simplement - et le plus longtemps possible - le censeur naturel de l’administration qu’est, en matière de liberté individuelle, le juge judiciaire.
L’allongement du délai dans lequel le contrôle du JLD interviendra conduira en effet à augmenter mécaniquement - et dans des proportions significatives - le nombre de cas dans lesquels la mesure d’éloignement aura pu être mise à exécution avant même que le juge ait été mis en mesure d’apprécier si l’interpellation, la garde à vue, puis la rétention de la personne concernée ont été décidées et se sont déroulées dans des conditions exclusives de toute atteinte injustifiée à sa liberté individuelle.
Si le rapport du Gouvernement au Parlement sur les orientations de la politique de l’immigration pour 2009 ne ventile pas le nombre de rétentions en fonction de leur durée, l’indication d’une durée moyenne de rétention de 10,2 jours en métropole (p. 73 du rapport) fait néanmoins clairement apparaître que le report de deux à cinq jours du contrôle du juge judiciaire ne saurait rester sans effets sur le nombre de reconduites qui pourront être mise à exécution avant que ce contrôle n’intervienne.
De la même manière, si le rapport ne ventile pas les annulations de procédures d’éloignement selon qu’elles ont été prononcées par le juge judiciaire ou par le juge administratif, l’indication selon laquelle elles représentent ensemble « 33,8 % des échecs enregistrés » (p. 77) fait clairement apparaître l’incidence potentielle d’un report à cinq jours de l’intervention du JLD. Si l’on retient en effet que les mesures non exécutées s’élèvent, une fois écartés les retours aidés, à 29 288 – 8 268 = 21 020, il faut admettre que les échecs résultant d’une annulation se sont élevés, en 2009, à (21 020 : 100) x 33,8 = 7 104 mesures d’éloignement. Dès lors que le rapport n° 239 (2010-2011) du Sénat a pu préciser que par comparaison avec les annulations judiciaires, les cas d’annulation prononcées par le juge administratif sont « relativement peu fréquents » (rapport p. 34), l’incidence de la neutralisation du juge judiciaire pendant cinq jours apparaît plus nettement encore.
Quoi qu’il en soit, le Conseil ne saurait évidemment admettre, par principe, que le contrôle du juge judiciaire soit ainsi écarté dans le seul but de masquer, en même temps que les insuffisances dont l’administration fait preuve dans la mise en œuvre des procédures d’éloignement, les atteintes à la liberté individuelle qui en découlent.
2. Incompatibilité manifeste des dispositions avec les dispositions de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008.

Dans son article 15, la directive prévoit que les décisions de placement en rétention prises par l’autorité administrative doivent donner lieu :

- soit à « un contrôle juridictionnel accéléré de la légalité de la rétention », lequel contrôle « doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du début de la rétention »,
- soit à l’ouverture du droit, pour l’étranger, « d’engager une procédure par laquelle la légalité de la rétention fait l’objet d’un contrôle juridictionnel accéléré qui doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du lancement de la procédure en question ».
Il faut d’abord souligner qu'’au regard de l’option ouverte par la directive, qui permet d’organiser, soit un contrôle juridictionnel « automatique » intervenant « le plus rapidement possible à compter du début de la rétention », soit un contrôle à l’initiative de l’étranger saisissant le juge à tout moment dès le placement en rétention - ce dernier devant alors statuer le plus rapidement possible à compter de sa saisine - le législateur a opté pour le premier terme de l’alternative, confirmant en quelque sorte la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait déjà dit « qu'’un étranger n’est recevable à demander au juge judiciaire qu'’il soit mis fin à sa rétention qu'’après que la prolongation de celle-ci a été ordonnée » (Cass., 1ère civ., 30 sept. 2009, n° 08-15790).

Il en résulte clairement que la question du délai dans lequel ce contrôle juridictionnel automatique interviendra devient primordiale au regard de la préservation des droits de l’étranger. Privé de tout recours au juge judiciaire pendant ce délai, il devra néanmoins subir la coercition de la rétention et ce quand bien même les conditions et modalités de son interpellation, de sa garde à vue ou de cette rétention révèleraient de graves atteintes à ses droits.

Il sera rappelé ensuite qu’il résulte de l’article 88-1 de la Constitution que « la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être fait obstacle qu'en raison d'une disposition expresse contraire de la Constitution » (décision 2004-497 DC) et qu’en conséquence, le Conseil constitutionnel peut déclarer non conforme à l'article 88-1 de la Constitution une disposition législative « manifestement incompatible » avec la directive qu'elle a pour objet de transposer (décisions 2006-540 DC et 2006-543 DC).

Tel est bien le cas des dispositions des articles 44 et 51 de la loi déférée. Pas plus qu’il ne peut être regardé comme intervenant dans le plus court délai possible au sens de la décision 79-109 DC, le contrôle juridictionnel de la privation de liberté intervenant dans un délai de cinq jours ne peut être regardé, non plus, comme ayant lieu « le plus rapidement possible à compter du début de la rétention » au sens des dispositions de la directive « retour ». Un tel délai est au contraire manifestement incompatible avec l’exigence de célérité qu’elle impose.

Pour tenter par avance d’échapper à ce grief, les auteurs de l’étude d’impact accompagnant le projet de loi du Gouvernement ont cru pouvoir suggérer que le contrôle juridictionnel accéléré de la légalité de la rétention exigé par la directive serait celui qui incombe au seul juge administratif (étude d’impact page 124), à l’exclusion, doit-on comprendre, de celui revenant au juge judiciaire en vertu de l’article 66 de la Constitution.
Ce raisonnement n’est pas recevable puisque la directive « retour » a vocation à être transposée tant dans les Etats qui connaissent, comme la France, une dualité d’ordres de juridictions que dans ceux qui n’en n’ont institué qu’un, de sorte que l’intention des auteurs de la directive ne saurait être mesurée à l’aune des spécificités de tel ou tel droit national.
En tout état de cause les auteurs de la directive n’ont nullement entendu introduire une telle distinction. Si, en effet, ils avaient entendu n’imposer qu’un contrôle accéléré de la légalité - étroitement entendue - des décisions administratives de placement en rétention, à l’exclusion de celui relatif à la privation de liberté, la directive l’aurait alors expressément indiqué en précisant qu’il s’agit de contrôler la légalité « de la décision de placement en rétention », au lieu de quoi elle exige, beaucoup plus largement, un contrôle de la légalité « de la rétention ». Or, autant le contrôle juridictionnel d’une décision administrative peut être considéré comme se limitant aux moyens de légalité, tant externe qu’interne, propres à cette décision, autant le contrôle de la légalité « de la rétention » ne peut-il être entendu que comme incluant le contrôle de l’ensemble des aspects de cette mesure, par nature privative de liberté.
D’ailleurs, la Commission des Lois du Sénat ne s’est pas trompée quant à l’étendue du contrôle qu’impose la directive puisqu’elle a pu écrire, aux termes de son rapport n° 239 (2010-2011) : « Il aurait donc sans doute fallu, pour respecter pleinement la directive, qu'un recours complet, aussi bien sur la légalité de la procédure de placement en rétention que sur la légalité de la mesure de rétention elle- même, pût être exercé en urgence. Ce ne sera pas le cas dans la nouvelle procédure, à moins que le juge administratif, qui statuera désormais le premier, décide de se prononcer désormais également sur l'interpellation, la garde à vue, etc. Dans le cas contraire, un étranger pourra être éloigné alors même que la régularité de la procédure de son placement en rétention n'aura pas pu être tranchée par le JDL ».

L’incompatibilité de la disposition en cause avec les exigences de la directive « retour » est donc manifeste. On ajoutera qu’un contrôle du juge administratif, désormais premier saisi, portant sur les atteintes à la liberté individuelle susceptibles de résulter du processus d’éloignement, évoquée dans ce rapport comme un hypothétique palliatif à cette incompatibilité, serait évidemment totalement contraire au principe de séparation des pouvoirs, dont découle la dualité des ordres de juridiction et qui a conduit le Constituant à réserver ce contrôle au juge judiciaire.

L’incompatibilité avec la directive serait d’ailleurs encore manifeste, même dans l’hypothèse où la directive n’aurait organisé qu’un contrôle plus limité dans son objet, dès lors que le juge judiciaire partage au moins une compétence avec le juge administratif, celle du contrôle de la nécessité de la rétention. L‘article L 554-1 du Ceseda, dispose en effet que « Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ », la Cour de cassation exerçant d’ailleurs un contrôle effectif de cette condition de nécessité dans le cadre du contentieux du maintien en détention (notamment : Cass, 2ème civ., 7 juin 2001, n° 00-50.033, Procureur général près la CA de Versailles c/ Chettouh) au même titre que le Conseil d’Etat l’exerce tout aussi étroitement au titre du contentieux du placement en rétention (notamment : CE, 27 févr. 2004, n° 252988, Préfet des Pyrénées-Orientales c/ Abounkhila).
Le juge judiciaire est ainsi bien conduit à porter une appréciation sur « la légalité de la rétention » lorsqu’il vérifie si sa nécessité - qui conditionne tant la décision initiale de placement que l’autorisation du maintien - est démontrée ou fait au contraire défaut. Si, dans la seconde des hypothèses, il ne lui appartient pas, bien entendu, de prononcer l’annulation de la décision de placement en rétention, il peut néanmoins en constater l’illégalité et en tirer la conséquence qu’il ne peut autoriser le maintien d’une rétention qui n’apparaissait pas nécessaire, le cas échéant dès l’origine.

Or l’extrême importance de ce contrôle de la nécessité de la rétention vient d’être soulignée par l’arrêt rendu le 28 avril 2011 par la Cour de Justice de l’Union Européenne qui, interprétant les dispositions de la directive « retour » » dans l’affaire C-61/11 PPU :
rappelle que « aux termes de son treizième considérant, elle subordonne expressément le recours à des mesures coercitives au respect des principes de proportionnalité et d’efficacité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis ».
et précise que « l’ordre de déroulement des étapes de la procédure de retour établie par la directive 2008/115 correspond à une gradation des mesures à prendre en vue de l’exécution de la décision de retour, gradation allant de la mesure qui laisse le plus de liberté à l’intéressé ... à des mesures qui restreignent le plus celle-ci, à savoir la rétention dans un centre spécialisé, le respect du principe de proportionnalité devant être respecté au cours de toutes ces étapes ».
Ainsi le juge judiciaire est-il bien conduit à rechercher si le placement en rétention et, a fortiori, le maintien en rétention respectent les principes de gradation et de proportionnalité à l’aune desquels la nécessité de cette mesure coercitive doit être évaluée.
Et ainsi le report de l’intervention du juge judiciaire est bien de nature à priver les intéressés, sans nécessité aucune, d’une partie essentielle du « contrôle juridictionnel accéléré de la légalité de la rétention » que la loi organise par application de la directive. De ce point de vue encore, l’incompatibilité est manifeste.
Article 52 Possibilité de différer l’information sur ses droits de l’étranger retenu
Par une série d’arrêts du 31 janvier 2006, la Cour de cassation a rappelé qu’il résultait de la loi que tout étranger retenu devait être informé de ses droits et placé en état de les faire valoir dès le début du maintien en rétention administrative (voir supra, commentaire sous article 14). Afin de se conformer à cette exigence, les fonctionnaires de police doivent, dès la notification du placement en rétention administrative, informer l’intéressé dans une langue comprise par lui de l’ensemble des droits afférents au placement et, durant l’attente de l’escorte et le transfert, mettre un téléphone à disposition afin que l’intéressé puisse communiquer avec toute personne de son choix (proche, avocat ou consulat). Le non respect de cette exigence a été source de nombreuses remises en liberté dès lors qu’il y avait là une atteinte aux droits.
Plutôt que d’améliorer ce système ou de prendre acte de l’exigence, pour un étranger retenu, d’être informé immédiatement de ses droits et en mesure de les faire valoir, le législateur tente de neutraliser les effets protecteur de cette jurisprudence en autorisant une retard dans l’information des droits et en subordonnant leur exercice à l’arrivée au centre de rétention.
L’article 52 de la loi tend en effet à modifier l’article L. 552-2 en remplaçant l’obligation d’informer l’étranger de ses droits « au moment de la notification de la décision de placement en rétention » mais « dans les meilleurs délais suivant la notification de la décision de placement en rétention » et ajoute que « Le juge tient compte des circonstances particulières liées notamment au placement en rétention simultané d’un nombre important d’étrangers pour l’appréciation des délais relatifs à la notification de la décision, à l’information des droits et à leur prise d’effet »
Aucune circonstance, sauf exceptionnelle, ne peut justifier qu’une personne soit privée de liberté sans être immédiatement informée des raisons de cette mesure. L’immédiateté est en outre imposée dans ce cas dès lors que la personne placée en rétention l’est au terme d’une mesure de garde à vue.
Autrement dit, aucune circonstance ne peut justifier que l’information sur les droits afférents à une mesure de placement en rétention ne soit pas donnée au moment même de la notification du placement en rétention, laquelle soit être notifiée concomitamment à la fin de la mesure de garde vue pour que la chaîne de privation de liberté ne soit, à aucun moment, privée de base légale.

Dans ces conditions, compte tenu de l’atteinte aux droits qui résulte de cette disposition et du but qu’elle poursuit manifestement, en ce qu’elle vise à neutraliser une garantie sur laquelle veille l’autorité judiciaire, cette disposition ne peut être que censurée comme contraire aux exigences découlant de l’article 66 de la Constitution.
Article 53 Limitation des irrégularités susceptibles d’entrainer la fin de la rétention
L’article L. 552-3 du Ceseda dans sa rédaction issue de l’article 53 de la loi dispose que :
« En cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d’inobservation des formalités substantielles, toute juridiction, y compris la Cour de cassation, qui est saisie d’une demande d’annulation ou qui relève d’office une telle irrégularité ne peut prononcer la mainlevée de la mesure de placement en rétention que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l’étranger ».
Cette disposition, analogue à celle introduite par l’article 14 de la loi, encourt les mêmes griefs (voir supra, sous article 14).

Article 56 Allongement de la durée maximale de la rétention à 45 jours

Cet article modifie en profondeur la rétention administrative. Il porte en effet à 45 jours la durée maximale de la rétention administrative, au lieu de 32 jours aujourd’hui.
Lors de précédentes lois sur l’immigration le Conseil constitutionnel a admis cette entorse aux protections et aux règles fondamentales en matière de privation de liberté à la double condition qu’elle soit limitée au temps strictement nécessaire à l’organisation du départ de l’étranger et qu’elle soit fortement encadrée et contrôlée par le juge judiciaire, garant de la liberté individuelle. Cette double exigence n’est aujourd’hui plus satisfaite par la loi.
La saisine des députés et des sénateurs développe les arguments qui montrent en quoi cette disposition est contraire aux principes dégagés par le Conseil constitutionnel dans ses différentes décisions en ce qui concerne les exigences de l’article 66 de la Constitution.
Cette disposition est également manifestement incompatible avec les dispositions de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 qui non seulement n’impose pas à la France une augmentation de la durée de rétention mais qui rappelle même, en son article 15-1 et son considérant 16, que la rétention administrative doit être le dernier recours en vue de garantir l’éloignement :
L’article 15-1 de la directive prévoit que :
« 1. À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque:
a) il existe un risque de fuite, ou b) le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement ». Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécutée avec toute la diligence requise.
Et le 16e considérant énonce que :
« Le recours à la rétention aux fins d’éloignement devrait être limité et subordonné au respect du principe de proportionnalité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis. La rétention n’est justifiée que pour préparer le retour ou procéder à l’éloignement et si l’application de mesures moins coercitives ne suffirait pas ».
La Cour de justice de l’Union européenne, de son côté, dans son arrêt El Dridi, a interprété en ces termes les dispositions de la directive :

À cet égard, il découle du seizième considérant de ladite directive ainsi que du libellé de son article 15, paragraphe 1, que les États membres doivent procéder à l’éloignement au moyen des mesures les moins coercitives possible. Ce n’est que dans l’hypothèse où l’exécution de la décision de retour sous forme d’éloignement risque, au regard d’une appréciation de chaque situation spécifique, d’être compromise par le comportement de l’intéressé que ces États peuvent procéder à la privation de liberté de ce dernier au moyen d’une rétention.

Cette privation de liberté doit, conformément à l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2008/115, être aussi brève que possible et n’être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Selon les paragraphes 3 et 4 dudit article 15, une telle privation de liberté est soumise à un réexamen à des intervalles raisonnables et il y est mis fin lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement. Les paragraphes 5 et 6 du même article fixent la durée maximale de ladite privation à 18 mois, celle-ci constituant une limite qui s’impose à tous les États membres. Par ailleurs, l’article 16, paragraphe 1, de cette directive exige que les personnes concernées soient placées dans un centre spécialisé et, en tout état de cause, séparées des prisonniers de droit commun.

Il résulte de ce qui précède que l’ordre de déroulement des étapes de la procédure de retour établie par la directive 2008/115 correspond à une gradation des mesures à prendre en vue de l’exécution de la décision de retour, gradation allant de la mesure qui laisse le plus de liberté à l’intéressé, à savoir l’octroi d’un délai pour son départ volontaire, à des mesures qui restreignent le plus celle-ci, à savoir la rétention dans un centre spécialisé, le respect du principe de proportionnalité devant être assuré au cours de toutes ces étapes.

Il appert que même le recours à cette dernière mesure, qui constitue la mesure restrictive de liberté la plus grave que permet ladite directive dans le cadre d’une procédure d’éloignement forcé, est strictement encadré, en application des articles 15 et 16 de ladite directive, notamment dans le but d’assurer le respect des droits fondamentaux des ressortissants de pays tiers concernés.

En particulier, la durée maximale prévue à l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115 a pour objectif de limiter la privation de liberté des ressortissants de pays tiers en situation d’éloignement forcé (arrêt du 30 novembre 2009, Kadzoev, C-357/09 PPU, Rec. p. I-11189, point 56). La directive 2008/115 entend ainsi tenir compte tant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle le principe de proportionnalité exige que la détention d’une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours ne se prolonge pas pendant un laps de temps déraisonnable, c’est-à-dire n’excède pas le délai nécessaire pour atteindre le but poursuivi (voir, notamment, Cour eur. D. H., arrêt Saadi c. Royaume-Uni du 29 janvier 2008, non encore publié au Recueil des arrêts et décisions, § 72 et 74), que du huitième des «vingt principes directeurs sur le retour forcé» adoptés le 4 mai 2005 par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, auxquels la directive fait référence à son troisième considérant. Selon ce principe, toute détention préalable à l’éloignement doit être aussi brève que possible.

Or la loi française fait du placement en rétention administrative la règle et de l’assignation à résidence l’exception. Elle viole par conséquent les objectifs de la directive 2008/115/CE, qui prévoit que le placement en rétention n’intervienne qu’en dernier ressort.
La directive prévoit que la rétention ne peut être maintenue que pendant le temps strictement
nécessaire à l’éloignement : « Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise » - objectif qui n’apparaît pas dans la loi.
Les données de l’expérience permettent également de récuser les arguments invoqués pour justifier l’allongement de la durée de rétention.

– L’argument « d’efficacité » : il est contredit depuis de nombreuses années par l’analyse de la procédure de rétention, notamment dans les rapports sur la rétention publiés par le Comité interministériel de contrôle de l’immigration (CICI) et par La Cimade.
La grande majorité des reconduites effectives sont en effet réalisées durant les 10 premiers jours de rétention et le passage à 32 jours depuis 2003 n’a pas influé sensiblement sur l’efficacité du dispositif1. En 2009, la durée moyenne de rétention était de 10,71 jours et 87 % des personnes ont été présentées à l’embarquement durant la première période de rétention administrative, soit entre le premier et le dix- septième jour de rétention.
Le passage de 32 à 45 jours de la durée maximale de la rétention administrative ne permettra pas une augmentation significative du nombre d’étrangers reconduits. Lorsqu’une préfecture n’a pas réussi à obtenir tous les documents nécessaires en 17 jours, il est quasiment exclu qu’elle les obtienne par la suite.

Depuis l’entrée en vigueur en 2003 de la loi dite « Sarkozy » et le passage à 32 jours de la durée de rétention, les courbes des destins des retenus pendant la période de rétention administrative n’ont absolument pas varié hormis en volume (dû en premier lieu à l’augmentation du nombre de places en centre de rétention et à la politique du chiffre en matière d’éloignement). Autrement dit, le phénomène est constant : la plupart des étrangers sont reconduits durant les dix-sept premiers jours. Au-delà, plus la rétention dure et plus le nombre de retenus libérés augmente, les reconduites à la frontière devenant marginales. Ainsi, parmi les personnes ayant dû subir 32 jours de privation de liberté, à peine plus d’une centaine sont présentées à l’embarquement alors que près de 1000 sont libérées3.
Depuis plusieurs années déjà, d’une privation de liberté limitée « au temps strictement nécessaire » à l’organisation du renvoi4, la période de rétention administrative allant du dix-septième au trente-deuxième jour constitue une mesure punitive.
Dans son rapport sur la rétention administrative publié le 3 juillet 2009, le sénateur (UMP) Pierre Bernard-Reymond a constaté que « moins d’une mesure d’éloignement forcé sur cinq est aujourd’hui effectuée » et que « l’allongement de la durée de rétention n’apparaît plus, en règle générale, comme un moyen d’améliorer l’efficacité du système alors que son coût n’est pas négligeable ».
La question des laissez-passer consulaires. Le gouvernement légitime également cet allongement de la durée de rétention par la nécessité de disposer de temps afin d’obtenir un plus grand nombre de laissez- passer consulaires, documents indispensables pour pouvoir expulser un étranger retenu, arguant de leur possible obtention après expiration du délai de rétention. Il ressort cependant du dernier rapport du CICI publié en mars 2011 (p.78), qu’en 2009, sur 12219 laissez-passer sollicités par l’administration auprès des autorités consulaires, seulement 404, soit 3.31% environ ont été délivrés hors délais de rétention. Et pour 2008, le taux d’obtention de laissez-passer après les 32 jours n’était que de 2.28% environ.

Dans le dernier rapport du Comité interministériel de contrôle de l’immigration (CICI), de mars 2011 (p73), la durée moyenne de rétention était pour l’année 2009 de 10,2 jours. Elle était de 10,3 jours en 2008, 10,5 jours en 2007, 9,9 jours en 2006.... 2 Voir p19 du rapport annuel 2009 de La Cimade sur les Centres et locaux de rétention administrative : http://www.cimade.org/publications/43


3 Voir supra. 4 L’article L.554-1 du Ceseda et l’article 15-1 de la directive « retour » dispose que « Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours ou exécuté avec toute la diligence requise » 5 http://www.senat.fr/rap/r08-516/r08-5161.pdf

illustration apporte un démenti patent à l’argument invoqué pour justifier une privation de liberté des étrangers pouvant atteindre 45 jours.

En Italie, la transposition de la directive « retour » a déjà donné lieu à un allongement de la durée maximale de rétention de 2 à 6 mois. En novembre 2010, un rapport publié par l’association italienne MEDU6 (médecins pour les droits humains) constate que cette mesure a considérablement aggravé les conditions de vie des personnes enfermées, mais n’a absolument pas fait varier le nombre d’expulsions. 43% des personnes enfermées dans les premiers 9 mois de 2010 ont été expulsées, soit exactement la même proportion que durant la même période en 2009, alors que la durée de détention était alors de 2 mois.

Ces chiffres démontrent que les délais d’obtention de laissez-passer ne peuvent justifier la nécessité d’augmenter la durée maximale de rétention. Et que cette mesure, outre son inefficacité au regard de la politique de reconduite déjà menée, ne conduira qu’à porter atteinte aux droits fondamentaux des migrants.

Par nature particulièrement anxiogène, l’enfermement des étrangers pour une période risquant d’atteindre 45 jours ne fera qu’augmenter les tensions et les gestes de désespoir dans les centres de rétention (les automutilations, les tentatives de suicide et les incendies par exemple risquent de s’y multiplier).

Le sort des mineurs. La loi ne prévoit aucune catégorie de personnes qui échapperait à l’allongement de cette durée d’enfermement. Aussi les populations les plus vulnérables pourraient y être soumises : enfants, personnes âgées ou à la santé précaire par exemple.
L’enfermement d’enfants en centre de rétention, qui devrait être proscrit par principe et ce par respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, a déjà plusieurs fois été considéré par les juges comme un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou encore contraire à l’article 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. La réforme proposée ne ferait qu’aggraver les conséquences psychologiques de l’enfermement chez les enfants.
Dans un avis rendu le 20 octobre 2008, la Commission Nationale de déontologie et de sécurité (CNDS) est venue ajouter que « dès lors que les mineurs ne peuvent être expulsés selon la législation française, ils ne peuvent faire l’objet ni d’un ordre de quitter le territoire français, ni d’un arrêté préfectoral de placement en rétention : ils n’ont donc aucun statut en rétention. »

Pourtant, alors qu’ils n’étaient pas plus d’une trentaine les années précédentes, 165 enfants furent placés en rétention en 2004. Cinq ans plus tard, cette « situation d’exception » qui permet à l’administration de priver des enfants de tout âge de liberté, a pris une ampleur considérable. Le nombre de mineurs enfermés avec au moins un de leurs parents a doublé en cinq ans. En 2009, 318 enfants7 auront passés entre 1 et 32 jours derrière les barreaux8.
Et la loi s’éloigne à nouveau de la directive « retour » qui prévoit en son article 17-1 que « les mineurs non accompagnés, les familles comportant des mineurs ne sont placés en rétention qu’en dernier ressort et pour la période appropriée la plus brève possible ». L’alinéa 5 du même article ajoute que « l’intérêt supérieur de l’enfant constitue une considération primordiale dans le cas de rétention de mineurs dans l’attente d’un éloignement ».

Plus largement la directive préconise de protéger de l’enfermement les personnes vulnérables ce que la loi ne prend pas en compte, tentant même d’allonger la durée de la rétention sans distinctions de catégories de personnes.

Télécharger le rapport et la synthèse du rapport du site de MEDU: http://www.mediciperidirittiumani.org

Ces chiffres ne tiennent pas compte notamment des nombreux enfants enfermés au centre de rétention de Mayotte 8 Voir p. 17 du rapport annuel 2009 de La Cimade sur les Centres et locaux de rétention administrative

Article 56 Possibilité de rétention administrative des « terroristes » présumés jusqu’à 18 mois.

L’article 56 du texte de la loi déférée prévoit l’introduction d’un quatrième alinéa à l’article L. 552-7 du Ceseda qui prévoit que :

« Par dérogation aux dispositions de l’alinéa précédent, si l’étranger a été condamné à une peine d’interdiction du territoire pour des actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal ou si une mesure d’expulsion a été prononcée à son encontre pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées, le juge des libertés et de la détention près le tribunal de grande instance de Paris peut, dès lors qu’il existe une perspective raisonnable d’exécution de la mesure d’éloignement et qu’aucune décision d’assignation à résidence ne permettrait un contrôle suffisant de cet étranger, ordonner la prolongation de la rétention pour une durée d’un mois qui peut être renouvelée. La durée maximale de la rétention ne doit pas excéder six mois. Toutefois, lorsque, malgré les diligences de l’administration, l’éloignement ne peut être exécuté en raison soit du manque de coopération de l’étranger, soit des retards subis pour obtenir du consulat dont il relève les documents de voyage nécessaires, la durée maximale de la rétention est prolongée de douze mois supplémentaires ».

Sur ce fondement, il sera donc possible de maintenir jusqu’à 18 mois un étranger condamné à une peine d’interdiction du territoire pour des actes de « terrorisme » ou qui fait l’objet d’un arrêté d’expulsion en raison de son « comportement » lié à une activité de terrorisme pénalement constatée.

Cette disposition vient compléter une disposition de la loi LOPPSI 2 qui prévoit, pour ces mêmes personnes, lorsqu’elles sont assignées à résidence, un placement sous surveillance électronique (art. 116 de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011)9. Cette disposition n’a pas été déférée à la censure du Conseil constitutionnel.

Les dispositions de l’article L.552-7 du Ceseda introduites par l’article 56 du texte déféré encourent la censure du Conseil constitutionnel pour plusieurs motifs.

– En premier lieu, comme le démontre la saisine parlementaire, le placement jusqu’à 18 mois en rétention pour éloigner des étrangers qui la plupart du temps n’ont aucun pays acceptant de les accueillir et qui ne peuvent faire l’objet d’un renvoi vers leur pays d’origine constitue une entrave à la liberté individuelle « par une rigueur qui n’est pas nécessaire ».
D’autant que, comme le faisait valoir le rapporteur au Sénat, M. François-Noël Buffet, cette « mesure de rétention spéciale » destinées à des étrangers condamnés pour terrorisme ou impliqués dans des faits de terrorisme mais qui ne peuvent être éloignés « à brève échéance parce qu’ils sont menacés dans leur pays ou que celui-ci ne leur délivre pas de laissez-passer consulaire » pose « le problème de la coexistence au sein des mêmes centres de rétention d’étrangers en simple procédure d’éloignement et appelés à ne rester que quelques jours et d’étrangers terroristes ou liés au terrorisme qui y resteraient beaucoup plus longtemps » (Sénat, rapport 19 janvier 2011).
Les motifs relatifs à la « perspective raisonnable d’exécution » sont au demeurant en contradiction avec l’objet même de la demande. En effet, comment l’administration pourra t-elle soutenir, après une première prolongation d’un mois, qu’il existe une perspective raisonnable d’exécution si toutes ses

=>L’article L. 561-3 du Ceseda inséré par l’article 116 de la LOPPSI 2 est ainsi rédigé : « Art. L. 561-3. – L'autorité administrative peut ordonner le placement sous surveillance électronique
mobile de l'étranger astreint à résider dans les lieux qui lui sont fixés en application des articles L. 523-3, L. 523-4 ou L. 541-3 s'il a été condamné à une peine d'interdiction du territoire pour des actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal ou si une mesure d'expulsion a été prononcée à son encontre pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste [...] ».<= diligences ont échoué ? Autrement dit, la succession des demandes de prolongation démontre par elle- même l’absence de perspective raisonnable d’exécution. – En deuxième lieu, les conditions du prolongement de la rétention ne sont pas conformes aux exigences de l’article 66 de la Constitution. La rétention est prolongée de douze mois si l’impossibilité d’exécuter la mesure d’éloignement résulte du manque de coopération de l’intéressé ou des retards subis pour obtenir du consulat dont il relève les documents de voyage nécessaires. Or la privation de liberté pour une durée de 12 mois sur simple ordonnance d’un juge des libertés et de la détention n’est pas compatible avec le respect de la liberté individuelle. Il ressort de la combinaison de l’ensemble des textes que si l’autorité judiciaire autorise la prolongation, l’intéressé est privé, en appel, de la garantie de l’examen de l’ordonnance de prolongation par une juridiction collégiale. Si le législateur pouvait prévoir, sans violer l’article 66 de la Constitution, que le Premier président de la cour d’appel ou un conseiller désigné par lui pouvait suffire à examiner en appel les ordonnances du juge des libertés et de la détention, c’était notamment parce que la durée de rétention était d’une durée maximum d’un mois. Or, le contrôle juridictionnel d’une décision de prolongation de rétention pour une durée de 12 mois ne peut être soustrait au contrôle d’une juridiction statuant collégialement. – En troisième lieu, la référence aux « activités terroristes pénalement constatées » et l’étranger concerné par cette mesure de rétention « spéciale » ne sont pas clairement définis, ce qui ne respecte pas les exigences posées par le Conseil constitutionnel qui imposent au législateur « d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ; [...] il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi ». – En dernier lieu, contrairement à la présentation qui en est faite par le rapporteur du projet au Sénat le 19 janvier 2011 lors du dépôt de l’amendement n° 83 du Gouvernement, ces dispositions ne sont pas conformes à la directive. Elles sont même, suivant la logique de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les lois de transposition des dispositions inconditionnelles et précises d’une directive « manifestement » incompatibles avec les dispositions de l’article 15 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (la Cour de justice de l’Union européenne a reconnu le caractère inconditionnel et précis de ces dispositions : CJUE 30 novembre 2009, Kazdoev : C- 357/09 PPU ; CJUE, Première Chambre, 28 avril 2011, Hassen El Dridi, C-61/11 PPU). Certes, les conditions fixées par l’article 15 de la directive semblent être de prime abord respectées. Mais si on lit ces dispositions au regard des finalités de la directive et de son économie générale il est manifeste que le droit de l’Union européenne n’a jamais entendu autoriser les Etats à adopter des procédures spécifiques d’assignation à résidence et de rétention administrative à l’égard d’une catégorie particulière d’étrangers, en raison de « risque » – vrai ou supposé – qu’ils représenteraient pour la sécurité publique du fait de leur « passé » terroriste. Ainsi, l’article 1er prévoit comme « objet » que la directive fixe « les normes et procédures communes à appliquer dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, conformément aux droits fondamentaux en tant que principes généraux du droit communautaire ainsi qu’au droit international, y compris aux obligations en matière de protection des réfugiés et de droits de l’homme ». Il s’agit donc d’adopter des procédures communes à tous les étrangers en situation irrégulière sur le territoire d’un Etat membre – sous réserve des catégories ne relevant pas du champ d’application personnel ou matériel de la directive (article 2). De ce point de vue d’ailleurs, les Etats membres ont la possibilité de ne pas appliquer cette directive aux ressortissants de pays tiers « faisant l’objet d’une sanction pénale prévoyant ou ayant pour conséquence leur retour, conformément au droit national » (article 2 b). Ainsi les étrangers sous le coup d’une mesure d’expulsion ou une interdiction du territoire français peuvent être exclus du champ de la directive. Or, en prévoyant une rétention « spéciale » pour les « terroristes » étrangers sous le coup d’une ITF ou d’une expulsion « encontre pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées » le texte déféré applique l’article 15 de directive s’agissant du régime d’assignation à résidence et de rétention mais pas s’agissant des garanties offertes par ailleurs par la directive. Mais surtout, l’article 15 a vocation à s’appliquer à tous les étrangers faisant l’objet d’une décision de retour (article 8 §1 : « 1. Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour exécuter la décision de retour (...) »). L’article 15 lui-même prévoit « 1. À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque a) il existe un risque de fuite, ou b) le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise ». En ce sens, la Cour de Luxembourg a clairement souligné la nécessité de cet examen individuel, au cas par cas, sur le fondement d’une appréciation in concreto, adapté aux circonstances et comportement particuliers Ainsi de la décision El Dridi : « 38. Dans cette dernière hypothèse mais aussi dans une situation dans laquelle l’obligation de retour n’a pas été respectée dans le délai accordé pour le départ volontaire, il ressort de l’article 8, paragraphes 1 et 4, de la directive 2008/115 que, dans le but d’assurer l’efficacité des procédures de retour, ces dispositions imposent à l’État membre, qui a adopté une décision de retour à l’encontre d’un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier, l’obligation de procéder à l’éloignement, en prenant toutes les mesures nécessaires, y compris, le cas échéant, des mesures coercitives, de manière proportionnée et dans le respect, notamment, des droits fondamentaux À cet égard, il découle du seizième considérant de ladite directive ainsi que du libellé de son article 15, paragraphe 1, que les États membres doivent procéder à l’éloignement au moyen des mesures les moins coercitives possible. Ce n’est que dans l’hypothèse où l’exécution de la décision de retour sous forme d’éloignement risque, au regard d’une appréciation de chaque situation spécifique, d’être compromise par le comportement de l’intéressé que ces États peuvent procéder à la privation de liberté de ce dernier au moyen d’une rétention.». L’application de la directive doit être individualisée. Par suite elle prohibe nécessairement une application généralisée de la directive à une catégorie d’étrangers définis selon le risque qu’ils représentent et la nature des actes qu’ils ont commis et pour lesquels ils ont été sanctionnés pénalement. En outre l’article 15 encadre strictement les possibilités de prolongation jusqu’à 18 mois de la rétention (dont la durée « normale » est d’au maximum 6 mois) en définissant deux hypothèses restrictives : « 6. Les États membres ne peuvent pas prolonger la période visée au paragraphe 5, sauf pour une période déterminée n’excédant pas douze mois supplémentaires, conformément au droit national, lorsque, malgré tous leurs efforts raisonnables, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison: a) du manque de coopération du ressortissant concerné d’un pays tiers, ou b) des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires ». Le passé « terroriste » d’un étranger n’est en aucun cas un motif justifiant dans la directive le placement en rétention. Et on ne conçoit pas comment il serait possible qu’un étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement prise depuis des années, ne pouvant souvent pas être renvoyé vers son pays d’origine sans violation par ricochet des articles 2 et 3 de la CEDH, de l’article 66-1 de la Constitution et du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, pourrait, par miracle, être renvoyé dans des perspectives raisonnables pendant un délai pouvant aller jusqu’à 18 mois. C’est proprement improbable. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner qui sera concerné par ces dispositions. Il s’agit en pratique d’un petit nombre de personnes (voir encadré), parfois d’anciens ressortissants français dénaturalisés, qui après avoir purgé une peine de prison (actes de terrorisme « pénalement constatés ») ont fait l’objet d’une ITF ou d’un arrêté d’expulsion qui n’a jamais pu être exécuté car cela serait contraire aux articles 2 et/ou 3 de la CEDH. Ils risquent en effet la peine de mort ou de mauvais traitements en cas de renvoi vers leur pays d’origine. Ils ont obtenu, la plupart du temps, une mesure provisoire de la Cour européenne des droits de l’homme demandant à la France de ne pas les expulser et même une condamnation de la France pour violation de ces dispositions « par ricochet » compte tenu des risques qu’ils encouraient (v. sur le nécessaire respect de ces mesures : Commissaire européen des droits de l’homme, Thomas Hammaberg, « Les Etats européens doivent respecter les demandes de la Cour de Strasbourg de suspendre les expulsions », Human rights comments, 26 mai 201010 et Jean-Paul Costa, Déclaration du Président de la Cour européenne des droits de l’homme concernant les demandes de mesures provisoires - 11 février 201011). Dans tous ces cas on constate que ces étrangers sont dans cette zone de « non-droit » (assignation à résidence sans droit au travail ; chaque jour ils doivent se rendre au commissariat) depuis des années et qu’il n’existe aucune perspective raisonnable d’éloignement (le consulat dont ils relèvent ne délivrera pas les documents de voyage). Quel pays voudra les accueillir (hormis des pays terroristes) ? La seule vocation de la rétention administrative est d’organiser le départ d’un étranger. C’est une privation temporaire de liberté. Il ne s’agit en aucun cas d’une mesure de sûreté. Depuis 1980, le Conseil d’Etat a constamment reconnu qu’il s’agissait d’une forme de « détention » portant atteinte à la liberté individuelle. Or en l’occurrence il est manifeste que cette « rétention spéciale » de dix huit mois mélange, comme la rétention de sûreté, une mesure de sûreté contre une dangerosité présumée de la personne et sanction d’un comportement passé, déjà sanctionné par une peine pénale au mépris de l’objectif de réinsertion sociale des détenus. Une telle mesure est manifestement contraire à la directive « retour » interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne. Elle constitue aussi une atteinte à la liberté individuelle en violation de l’article 66 de la Constitution et un traitement inhumain et dégradant en violation du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. 10 http://commissioner.cws.coe.int/tiki-view_blog_post.php?postId=55 11 http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/F0757B75-D707-4254-9D1B- CE148907C0D6/0/20110211_ART_39_Statement_FR.pdf Quelques itinéraires

Kamel Daoudi (v. sur son parcours « Kamel Daoudi, du rap à la Kalachnikov », Libération, 18/10/2001). Ce franco-algérien, arrivé sur le sol français en 1979, fut arrêté quelques jours après les attentats du 11 septembre 2001 dans le cadre d’une opération visant à déjouer un attentat suicide prévu contre l’ambassade des États-Unis à Paris (il était informaticien du réseau). Il fut déchu de la nationalité française par décret du 27 mai 2002. Sa condamnation à six ans de prison pour ces faits fut assortie d‘une interdiction définitive du territoire français (Dominique Simonnot, « Avis d’expulsion pour Kamel Daoudi. Condamné à six ans de prison, ce Français risque l’exclusion », Libération, 22 février 2006). Au terme de sa peine, il fit l’objet d’une procédure d’expulsion vers l’Algérie. Ses recours en relèvement de l’interdiction de territoire échouèrent et sa demande d’asile fut rejetée successivement par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) en application de la clause d’exclusion compte tenu de « son activité sur le territoire constitu[ant] une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat » (article L.712-2 Ceseda). La procédure de cassation contre cette dernière décision du 31 juillet 2009 est actuellement pendante devant le Conseil d’État et a fait l’objet le 9 juillet 2010 d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise par le Conseil d’Etat déposée par Me Spinosi, mais qui a donné lieu à un absurde non-lieu à statuer du Conseil constitutionnel). Saisie d’une requête de l’intéressé, la Cour européenne des droits de l’homme avait demandé à la France, par une mesure provisoire, de surseoir à l’expulsion le temps de l’examen de ladite requête puis a condamné la France pour violation de l’article 3 « par ricochet » (Cour EDH, 5e Sect. 3 décembre 2009, Daoudi c. France, n° 19576/08). Depuis la mesure provisoire, il a été assigné à résidence. Aux dernières informations, par lettre du 2 avril 2010, les autorités françaises ont indiqué que la France se conformera à cet arrêt en toutes ses dispositions et a même affirmé, de manière totalement mensongère que « la décision de la Cour nationale du droit d’asile du 31/07/2009 fait obstacle au renvoi du requérant en Algérie ». Le 20 août 2010, les autorités françaises ont indiqué que depuis le 10 avril 2010, le requérant est assigné à résidence à Longeau-Percey (v. CM/Del/OJ/DH(2010)1100 Section/Rubrique 4.2 PUBLIC 17 December / décembre 2010).

Hassan Boutagni. Poursuivi en France pour sa participation aux attentats de Casablanca du 16 mai 2003, ce ressortissant marocain, arrivé régulièrement en France en 1978 à l’âge de onze ans, a été condamné en 2007 à une peine de cinq ans d’emprisonnement ainsi qu’à une peine complémentaire d’interdiction du territoire (ITF). Un arrêté de préfectoral de reconduite à la frontière fixa le Maroc comme pays de renvoi et, après sa libération de prison, il fut conduit dans un centre de rétention. Il déposa à ce moment une demande d’asile qui fut rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), tout comme le fut le référé-suspension initié devant le Tribunal administratif de Versailles contre l’arrêté préfectoral. En 2009, la requête en relèvement d’ITF a également été rejetée en première instance puis en appel par les juridictions judiciaires. Mais entretemps, l’intéressé obtint de la Cour européenne des droits de l’homme une mesure provisoire énonçant qu’« il était souhaitable de ne pas [l’]expulser vers le Maroc pour la durée de la procédure devant la Cour ». En conséquence, il fut assigné à résidence. Surtout, même si le recours - non suspensif - déposé devant la Cour nationale du droit d’asile est encore pendant à l’heure actuelle, le Gouvernement français a informé la Cour européenne, dans deux courriers des 27 avril et 25 juin 2010, qu’il garantissait que le requérant ne serait pas expulsé vers le Maroc. Cette “promesse” à la Cour évita à la France une condamnation (v. Cour EDH, 5e Sect. 18 novembre 2010, Boutagni c. France, Req. n° 42360/08).

Djamel Beghal. Ce franco-algérien a été condamné à dix ans d’emprisonnement par un jugement du tribunal correctionnel de Paris du 15 mars 2005, confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 14 décembre 2005, pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme. Il a été dénaturalisé par décret du 23 décembre 2006. Par arrêté du 19 septembre 2007 le ministre de l’intérieur a prononcé son expulsion du territoire français. Ses demandes d’abrogation ainsi que sa demande d’asile ont été rejetées. Libéré le 30 mai 2009, il a été assigné à résidence à Murat (Cantal). Alors que le ministère s’apprêtait à mettre immédiatement en exécution l’arrêté d’expulsion, il a lui-aussi obtenu de la Cour de Strasbourg une mesure provisoire visant a empêché son renvoi. Cette fois-ci c’est, là aussi sur saisine de Me Spinosi, que le juge des référés du Conseil d’Etat a suspendu la mesure. Il a considéré que l’inobservation par le Gouvernement des mesures provisoires prescrites sur le fondement de l’article 39 du règlement de la Cour constituait un manquement aux stipulations de l’article 34 de la Convention donnant ainsi « toute sa portée à la jurisprudence de la Cour issue de l’arrêt Mamatkoulov et Askarov c/ Turquie du 4 février 2005 », comme aime à le rappeler Jean- Marc Sauvé (CE ord. réf. 30 juin 2009, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales c/ Beghal, n° 328879, à publier au Recueil).

Article 58 Allongement du délai d’appel suspensif du parquet

Comme dans le cas du maintien en zone d’attente, la loi fait passer de quatre à six heures le délai dont dispose le parquet pour demander au premier président de la cour d’appel que son appel d’une décision de libération par le JLD d’un étranger placé en rétention ait un caractère suspensif. (nouvel art. L. 552-10 du Ceseda).

Voir les remarques supra, sous l’article 14.

Dispositions relatives au travail dissimulé

Articles 76 et 77 Droits des étrangers sans titre et répression des employeurs
La loi comprend des dispositions relatives à la protection des droits sociaux et pécuniaires des étrangers sans titre et à la répression des employeurs. Elles sont censées transposer la directive 2009/52/CE du 18 juin 2009 qui prévoit des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l'encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – mais la transposition est en réalité très infidèle.
– Sur l'article 76

L'article 76 du projet modifie l'article L. 8252-2 du code du travail dans un sens supposé plus favorable pour le travailleur non autorisé à exercer une activité salariée en France. Depuis 1981, un tel travailleur est assimilé à un salarié embauché de façon licite ; en conséquence il a droit au paiement de ses salaires et de ses accessoires. Lorsqu'il n'a pas été normalement payé, la loi pose une présomption d'antériorité de l'emploi de 3 mois – la directive prévoit qu'il s'agit là d'un minimum et non d'un maximum.

L'article ne respecte pas le principe d'accessibilité, d'intelligibilité et de bonne compréhension de la loi.

La loi ne précise pas comment va jouer la présomption qu'elle met en place et quelle est sa nature. On ignore quel est le régime probatoire mis en place puisque l'article litigieux semble dans le même temps faire peser la charge de la preuve sur le salarié : « le salarié peut apporter par tous moyens la preuve du travail effectué ». Partant, on ne sait si le salarié doit ou non jouer un rôle actif en matière probatoire et s'il peut se borner à prouver l'existence de la relation de travail. Dès lors la durée de l'emploi sera présumée de trois mois, à charge pour l'employeur d'apporter la preuve contraire. La formulation laisse place à une trop grande ambiguïté.
Par ailleurs, dans bien des situations, les travailleurs dits « sans papiers » sont employés de façon dissimulée, c'est-à-dire que leur employeur ne les a pas déclarés et/ou ne leur remet pas de bulletin de salaire. L'infraction prévue par l'article L. 8221-5 du Code du travail est alors également susceptible d'être relevée. Dans ce cas, le Code de la sécurité sociale fixe une antériorité d'emploi de 6 mois s'agissant de l'arriéré des cotisations sociales (v. art. L. 242-1-2). La logique du système et les objectifs que le législateur s'est donnée en matière de lutte contre le travail illégal voudraient que la présomption d'antériorité soit la même en droit du travail et en droit de la sécurité sociale. Cette différence inexplicable conduit derechef à rendre la loi inintelligible.
L'article 76 méconnait le principe d'égalité et le principe de non discrimination.
Il prévoit également de porter à trois mois l'indemnité forfaitaire due au salarié employé alors qu'il n'est pas autorisé à travailler en France, en cas de rupture de la relation de travail. Or cette indemnité est deux fois moins élevée que celle versée par l'employeur en cas de dissimulation d'emploi, en vertu de l'article L. 8223-1 du Code du travail. Cette différence de traitement, alors même que les salariés sont placés dans une situation similaire de vulnérabilité et d'exploitation sans se confondre pour autant, porte atteinte à l'égalité de traitement. Elle constitue de surcroît une discrimination fondée sur l'appartenance à une nation dans la mesure où les travailleurs sans papiers forcément étrangers sont moins bien traités que des salariés dissimulés, pouvant être des nationaux comme des ressortissants non nationaux.
L'article 76 porte atteinte au droit d'obtenir réparation de son préjudice contre l'auteur du fait fautif.
L'article litigieux énonce que le salarié ne peut pas prétendre à l'indemnité forfaitaire de rupture de trois mois liée à sa qualité d'étranger non autorisé à exercer une activité salariée en France et à l'indemnité mise en place dans le cadre d'un travail dissimulé. Même si la loi ne le dit pas ainsi, le cumul n'est pas autorisé. Il s'agit pourtant de deux dispositifs distincts, répondant à des intérêts distincts, preuve en est de l'existence d'une réglementation propre aux deux situations et des infractions également distinctes. Il ne s'agit pas de protéger les mêmes intérêts, ce que le juge pénal ne cesse de répéter en retenant le cumul des infractions et des peines dans la limite fixée par le Code pénal. Partant il est difficile de prétendre que le salarié « sans papiers », faisant l'objet d'une dissimulation d'emploi, ne subit pas un double préjudice dont il est à même de pouvoir demander réparation. En limitant la réparation, le législateur porte atteinte au principe susvisé dont le Conseil constitutionnel a rappelé la valeur constitutionnelle dans une décision en date du 18 juin 2010.
– Sur l'article 77
Cette disposition prévoit des mécanismes garantissant le paiement effectif des rémunérations et indemnités dues à tous les salariés employés sans titre.
Elle ne respecte pas en premier lieu le principe d'intelligibilité et le principe d'égalité.
L'article litigieux énonce en premier lieu que les « sommes dues à l'étranger (...) lui sont versées par l'employeur dans un délai de trente jours à compter de la constatation de l'infraction ». Partant il semble signifier qu'à défaut de constatation par une autorité habilitée à le faire – les mêmes que celles considérées comme compétentes en matière de lutte contre le travail illégal ? -, le salarié sans titre ne pourra pas prétendre au paiement des rémunérations dues, dès lors qu'il parvient à en administrer la preuve devant la juridiction prudhommale. Dit autrement l'employeur serait dispensé de verser la contrepartie des prestations de travail accomplies par le salarié. Or le Code du travail impose le versement d'un salaire soit tous les mois, soit tous les 15 jours s'agissant des travailleurs non soumis à la mensualisation (v. art. L. 3242-3). Le dispositif légal aurait dès lors un champ d'application très réduit puisque les contrôles sont aléatoires.
Le dispositif, tel qu'il doit être a priori compris, aboutit à une distinction entre travailleurs sans titre, ceux dont l'entreprise a fait l'objet d'un contrôle ayant permis de constater l'infraction, et les travailleurs sans titre d'entreprises qui n'ont pas été contrôlées. Pour les premiers, le dispositif va s'appliquer ; les seconds, en revanche, ne seront pas protégés et ne pourront pas prétendre, si ce n'est au paiement de leur salaire, à tout le moins à la présomption d'antériorité d'emploi fixée à trois mois. Or les travailleurs étrangers sans titre sont placés dans la même situation. L'intervention d'une autorité de contrôle n'a pas vocation à les placer dans des situations différentes. Le principe d'égalité de traitement est rompu.
L'article 77 porte atteinte au principe selon lequel tout justiciable peut avoir recours à un juge pour que sa cause soit entendue.
La disposition en cause paraît priver le recours à un juge pendant le délai de 30 jours suivant la constatation de l'infraction par l'autorité compétente. Or les indemnités et rémunérations peuvent être exigibles depuis plusieurs mois ou semaines, en application de l'article L. 3242-3 du code du travail. L'article L. 8252-2 du même code, en assimilant le travailleur sans titre au travailleur normalement engagé pendant la période d'emploi illicite, lui permet d'agir immédiatement. Il pourra en particulier saisir la formation de référés du conseil de prud'hommes dès lors que créance n'est pas sérieusement contestable.
En privant le salarié étranger sans titre de la possibilité de saisir le juge des référés pendant les 30 jours qui ont suivi la constatation de l'infraction, l'article 77 porte atteinte au droit de ce salarié de saisir utilement la justice afin de faire valoir ses droits.
Nouveau cas de procédure prioritaire pour les demandeurs d’asile

Article 96

Cet article vise à élargir encore les motivations possibles de refus de séjour et de placement en procédure « prioritaire » des demandes d'asile. Il prévoit en effet de compléter l’article L. 741-4 en prévoyant que : « Constitue une demande d’asile reposant sur une fraude délibérée la demande présentée par un étranger qui fournit de fausses indications, dissimule des informations concernant son identité, sa nationalité ou les modalités de son entrée en France afin d’induire en erreur les autorités. »
La disposition s’inscrit dans un mouvement actuel plus général où la gestion expéditive des demandes d’asile ne cesse d’augmenter comme en témoignent les chiffres suivants :

2009 : 13% (4383 personnes) des premières demandes ont été examinées en procédure dite « prioritaire »- 22% du total en incluant les demandes de réexamen

2010 : 24% des demandes d’asile ont été examinées en procédure prioritaire, soit 9.973 personnes (dont 62,5% demandaient l’asile pour la première fois)

Le placement en procédure « prioritaire » prive le demandeur d’asile d’un recours suspensif devant la Cour nationale du droit d’asile. De plus, il le contraint de vivre dans des conditions de grande précarité avec des droits sociaux et économiques fortement minorés (pas d’accès au centres d’accueil pour demandeurs d’asile, accès limité à l’allocation temporaire d’attente).
Dans la décision n° DC 93-325 du 13 août 1993, le Conseil constitutionnel a dégagé le principe constitutionnel de l'admission provisoire au séjour du demandeur d'asile jusqu'à ce qu'il a été statué sur sa demande (§84) avant d'admettre que l'autorité administrative pouvait déroger à ce principe en refusant l'admission en France d'un demandeur dans différents cas, en apportant une réserve d'interprétation importante : en effet, il a considéré que la réserve, énoncée par la loi « du respect des dispositions de l'article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951..., modifiée par le protocole de New-York du 31 janvier 1967, devait « s'entendre comme concernant l'ensemble des stipulations de cette convention susceptibles d'être appliquées » sous peine d'entrer en contrariété avec l'article 55 de la Constitution ». (n° 93-325 DC, § 85)
Par ce considérant, il a été clairement indiqué que le droit international et en particulier la convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951 participait à la mise en œuvre du droit constitutionnel d’asile et que la mise en œuvre des refus d'admission au séjour au titre de l’asile doit être circonscrit au cas exceptionnel où la demande d'asile présentée par l'étranger présente un caractère manifestement infondé ou manifestement dénué de fondement. La jurisprudence du Conseil d'État en la matière applique strictement ses réserves (cf. CE, ass., 13 décembre 1991, Préfet de l'Hérault c/Dakoury, CE, 18 décembre 1996, Ministère de l'Intérieur c/Rogers).

La disposition législative nouvelle est présentée comme issue d’une jurisprudence du Conseil d’Etat en date du 2 novembre 2009. Elle vise à sanctionner l’attitude des demandeurs d’asile qui rendraient volontairement leurs empreintes digitales illisibles pour qu’elles ne soient pas relevées dans la base de données européenne EURODAC. En réalité, la disposition risque d’être appliquée systématiquement dès qu’il existe un problème sur l’épiderme des demandeurs d’asile qui n’est pas forcément lié à un acte volontaire mais peut être la conséquence d’une activité (travail manuel) ou d’une pathologie (psoriasis par exemple). En outre, ce phénomène concerne dans la pratique certaines nationalités dont le taux de reconnaissance à l’OFPRA et à la CNDA est très nettement supérieur à la moyenne. Ainsi, en 2010, 65% des demandes d’asile déposées par des ressortissants érythréens ont fait l’objet d’une telle procédure contre 4% en 2009. Malgré cela, l’OFPRA a reconnu une protection à 56,1% des demandeurs de cette nationalité.
Ainsi la disposition critiquée, en précisant que, de façon quasi systématique, un refus de séjour devait être prononcé sans que soit recherché si la demande est présentée de façon manifestement dilatoire entre en contrariété avec la jurisprudence constitutionnelle.
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