14 nov. 2007

Pour les trois médecins psychiatres

Docteur Francis REMARK
Médecin psychiatre
16, rue Séguier
24000 PERIGUEUX
Tél : 05-53-53-06-56
E-mail : francis.remark@wanadoo.fr

À Monsieur le Préfet, Monsieur Dominique SCHMITT
Préfecture de la Région Auvergne et Puy de Dôme
18, Boulevard Desaix
63033 CLERMOND FERRAND Cedex 01

Périgueux, 12 novembre 2007



Monsieur le Préfet,

Ayant été informé de votre décision de supprimer trois médecins psychiatres du département de la liste des médecins agréés qui peuvent donner un avis autorisé au médecins de la DDASS concernant l’examen du droit de séjour en France pour un étranger pour raison de santé, je vous demande de revenir sur cette décision.
En effet, les pathologies psychiques qui concernent les étrangers réfugiés, et en particulier les états post traumatiques aigus ou plus souvent chroniques, sont mal connues et mal reconnues. Aussi, si vous avez la chance de disposer dans votre département de médecins psychiatres qui connaissent et savent les moyens de soins adaptés à ces situations, vous ne pouvez pas vous priver de cet outil car vous êtes représentant de l’Etat garantissant le droit aux soins de toutes personnes qui sont sur le territoire de la République. Il faut aussi comprendre que, sur le modèle maintenant mieux reconnu mais encore mal traité, des femmes victimes de violence, si on ne veut pas que ces personnes se replient dans le statut de victime, le premier soin est la protection et la séparation du lieu de la violence.
On sait malheureusement que pour leur reconnaissance et la reconnaissance de leurs droits, les étrangers réfugiés, souffrant de troubles psychiques et plus particulièrement d’états post traumatiques, ont une double désavantage de part les préjugés qui les concernent par le regard suspicieux vis-à-vis de leur identité d’étranger, et par le regard suspicieux vis-à-vis de leur situation d’être atteints psychiquement. Cette dernière suspicion s’exerce à bas bruit par la négligence ou de façon plus manifeste par le déni des affections psychiques et des besoins de soins. Etre en situation de faiblesse devient de plus en plus un motif de rejet social.

Donnons quelques informations au niveau national, qui témoignent de ceci. D’abord, les associations de soins psychiques, de statut médical ou non, (Centre Primo Lévi, Comede, Médecins du Monde, etc.), rejoignent les associations militantes de protection des étrangers (Ligue des Droits de l’Homme, CIMADE, etc.) pour alerter ou protester régulièrement et de manière de plus en plus désespérée vis-à-vis de la situation des souffrances sociales et médicales des étrangers qui demandent l’asile, quasiment systématiquement considérés comme disqualifiés et indésirables.
On peut se référer aux communiqués de la LDH qui se multiplient, le plus récent que je connaisse proteste contre le projet de directive européenne qui prévoit pour les étrangers à la situation non régularisée « une rétention pouvant aller jusqu’à 18 mois pour des personnes dont le seul délit est de vouloir vivre en Europe », et ce traitement pourrait alors « devenir un mode normal de gestion des populations migrantes ». (Cf. le site www.ldh-france.org) On peut se référer au dernier rapport de la CIMADE qui s’intitule : « Main basse sur l’asile – Le droit d’asile (mal)traité par les préfets », et qui indique en particulier que « Les mécanismes d’accès à la protection internationale prévue pour les réfugiés ont été rendus au fil des textes tellement étroits ou expéditifs qu’ils constituent désormais une véritable dissuasion ». (Cf. le site www.cimade.org)
Mais en ce qui concerne les associations de soins, le rapport d’activité de 2006 du Centre Primo Levi (qui accueille et soigne les traumatismes psychiques des réfugiés étrangers) souligne : « Nous ne rappellerons jamais assez que les effets du traumatisme perdurent, que les personnes torturées vivent avec la peur que cela recommence. La plus grande attention doit donc être portée aux conditions d’accueil... », et c’est la Directrice qui écrit, elle cite un rapport d’Angèle Molatre sur les demandeurs d’asile et les réfugiés pour le compte de la Commission Européenne : « Pour les demandeurs d’asile traumatisés par des évènements vécus avant et/ou pendant leur exil, les conditions d’accueil à l’arrivée sur le territoire français constituent une source principale de stress et de violence. » Depuis mars 2006, il y a sur le site internet, et dans les numéros de MEMOIRES de cette association une pétition pour « Les besoins des soins spécifiques des personnes en exil en France souffrant de traumatismes associés à la violence politique. »
On peut aussi citer la pétition « Peut-on renvoyer des malades mourir dans leur pays ? », initiée par différentes associations, en particulier Médecins du Monde et le COMEDE (Comité Médical pour les exilés, à l’hôpital de Bicêtre) regroupées dans l’Observatoire du Droit à la Santé des Etrangers. Et « L’ODSE demande le respect absolu du secret médical, la protection contre l’expulsion ainsi que la régularisation des étrangers qui ne peuvent se soigner effectivement dans leur pays d’origine, et donc le retrait immédiat des instructions telles qu’elles figurent aujourd’hui sur les sites intranet des ministères de l’Intérieur et de la Santé. ». Cette pétition a été signée en particulier par les Docteurs Axel KAHN, Christine KATLAMA, Didier SICARD, qui sont tous Professeurs de médecine, mais aussi le Docteur Gil TCHERNIA, qui est Professeur d’hématologie, mais aussi Emmanuel HIRSCH qui est Professeur d’éthique à la Faculté de médecine, Université de Paris Sud XI.
Je tiens aussi à citer l’évaluation du ministère de la santé en 2005 qui estimait que 20% des réfugiés en France avaient été victimes de la torture, et à citer un extrait du rapport, toujours en 2005, du Docteur Marc WLUCZKA, médecin chef du service de santé publique et d’assistance médicale de l’Office des Migrations Internationales : « La santé mentale et psychique des personnes hébergées est purement et simplement catastrophique » et, « loin de régresser, la prévalence des pathologies mentales augmente au cours de leur séjour... ».
On peut aussi citer le 7ème rapport de l’Observatoire de l’accès aux soins de la Mission France de Médecins du Monde du 17 octobre 2007 qui indique les manques de moyens en personnels qualifiés et en conditions de soins pour les étrangers et alors la non visibilité de leurs souffrances et pathologies. Dans un résumé, Médecins du Monde écrit : « En 2006, tant les reculs législatifs que l’atmosphère de déni de droits, de suspicion et bien sûr les chasses à l’étranger expliquent sans doute la baisse (-16%) du nombre de patients reçus en consultations médicales dans les Centres d’Accueil, de Soins et d’Orientation, baisse qui semble se confirmer en 2007. [...] La peur empêche de se déplacer, de s’adresser à des structures institutionnelles. La peur empêche l’accès aux soins. Elle vient s’ajouter à la méconnaissance des dispositifs, à la barrière financière et linguistique, aux obstacles administratifs et parfois aux refus de soins. » (Cf. le site medecinsdumonde).
Autre exemple : le témoignage du Dr Philippe TAUGOURDEAU qui a été médecin à l’unité médicale de la ZAPI 3, Zone d’Accueil des Personnes en Instance à l’aéroport de Roissy, de septembre 2004 à son éviction en juillet 2005 (in Défense de soigner pendant les expulsions Ed. Flammarion) qui décrit l’organisation des refus de soins pour ces étrangers et réfugiés.
Dernier exemple : le Syndicat des médecins inspecteurs de santé publique (qui est pourtant un syndicat très conciliant), se dit « régulièrement alerté par des collègues MISP en DDASS qui se voient reprocher par leurs directeurs des pourcentages excessifs d’avis positifs dans le cadre de cette procédure des étrangers malades », et il a demandé une rencontre avec Madame la Ministre de la Santé pour faire cesser ces pressions. (Cf. Le Quotidien du Médecin du 30 octobre 2007).
Enfin, citons le Docteur Pierre Duterte, médecin directeur du centre Parcours d’exil, (centre de soins pour réfugiés étrangers) : « Les victimes de tortures n’ont pas choisi leur immigration. Pour eux, fuir est la seule chance de survie ». (Cf. Le Quotidien du Médecin du 27 juin 2007, et cf. le site www.parcours.asso.fr).

Je connais bien la situation des affections psychiques des étrangers réfugiés en Dordogne, et je sais les difficiles compréhensions qu’ont les autorités de l’Etat pour croire que la reconnaissance de la réalité des étrangers malades n’est pas une complaisance. Cela demande une grande rigueur clinique, et aussi un savoir très précis dont les médecins psychiatres ont la responsabilité.

Je vous demande donc de redonner à votre département les moyens les plus expérimentés pour que les droits aux soins et à la dignité de toutes les personnes, y compris les étrangers, puissent être respectés car la démocratie n’est pas une formalité, mais c’est une réalisation à entretenir et à cultiver. Je vous demande donc de revenir sur votre décision et de redonner l’agrément aux médecins psychiatres Christian LACHAL, Hélène ASENSI, et Philippe COUDERC.

En attente de votre réponse, je vous prie de recevoir, Monsieur le Préfet, l’expression de mes sentiments les plus respectueux.


Dr. Francis REMARK

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