17 mars 2012

Lorsque les jeux tactiques l’emportent…


« Droits de l'Homme, Lettre d'information publiée par la LDH, n°80, mars 2012

Lorsque les jeux tactiques l’emportent...
Pierre Tartakowsky, Président de la LDH

Les trois déclarations qui suivent sont du même homme. La première date de 1997, la seconde de 2005, la dernière de 2012. Leur auteur, Nicolas Sarkozy, les a prononcées à chaque fois avec la même conviction enflammée.
« Je suis contre le droit de vote des immigrés. » « Le débat sur le droit de vote aux seules municipales pour les étrangers présents depuis dix ans sur le territoire national, respectant nos lois, payant leurs impôts et ayant des papiers, étaient une question qui devait être ouverte... En ce qui me concerne, j'y suis favorable. » « Une telle proposition me semble hasardeuse [...] car je crois depuis longtemps que le droit de voter et le droit d'être élu dans notre territoire doit demeurer un droit attaché à la nationalité française. »
Chacun, certes, peut changer d’avis. En l’occurrence, on s’autorisera à pense que tel n’est pas le cas. Le fond de l’affaire est que le droit de vote des étrangers non-européens résidents en France fonctionne comme révélateur de l’état des droites, du rapport plus ou moins tendu qu’elles entretiennent avec l’opinion publique et de leurs calculs tactiques dans l’utilisation d’un fond de commerce ayant trait à la mobilisation des valeurs nationales.

En 2005, il s’agit de faire risette aux valeurs humanistes, d’envoyer un message d’ouverture. En 2012, les ris ne plus de mise et on bat le rappel des voix sur la grosse caisse de l’identité. L’objectif étant – comme lors de la création du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale – de réaliser une OPA sur l’électorat frontiste.

Dans la dernière période, ces jeux tactiques se sont durcis, entre autres sous la pression du Front national et de la droite populaire qui font de cet enjeu un véritable casus belli. Cette offensive a eu un double effet. D’une part, mobiliser certaines âmes subitement hyper sensibles à l’air du temps, pour lesquelles il est devenu urgent de ne rien faire. L’idée serait bonne, mais provocatrice, en quelque sorte ; et au nom de « pas de cadeau au Front national », il serait urgent d’attendre. Mais attendre quoi, au juste ? La conversion de Marine Le Pen au droit de vote des étrangers ? Ces derniers risquent d’attendre fort longtemps... D’autre part, de conforter le clan des « contre », au rang duquel on a pu compter le sentencieux François Fillon, le bouillant Jean- François Copé, et les lapidaires Luc Chatel, ministre de l'Education ou Bruno Lemaire, ministre de l'Agriculture, ces deux derniers déclarant « qu'il n'en était pas question ».

Pour quelles raisons, au juste ? Deux arguments, toujours, sont avancés. L’un touche à la nationalité ; celles et ceux qui veulent voter peuvent adopter la nationalité française. Las, les toutes dernières statistiques attestent d’une baisse nette du nombre de demandeurs ayant reçu la nationalité française. Une baisse de votants potentiels, donc. L’autre touche au communautarisme ; le droit de vote encouragerait à la création de groupes de pression communautaires. Outre que le risque existe en tous temps et lieux, indépendamment du droit de vote, on est plutôt enclins à penser que pouvoir participer à la vie locale, comme votant ou candidat, à se positionner quant aux enjeux et décisions touchant à l’intérêt général est plutôt un facteur de mixité et de citoyenneté qu’autre chose. A moins évidemment que faire entendre sa voix soit assimilé à un communautarisme... De ce point de vue, il faut prêter attention au diagnostic de Bernard Accoyer, président de l'Assemblée nationale, pour qui le fond de l’affaire tient au fait que « les Français ne sont pas assez mûrs ».

Le propos est peu gracieux. Il a néanmoins le mérite de souligner qu’avec le droit de vote des étrangers, c’est bien la qualité de vie démocratique du pays et de ses habitants – Français etétrangers – qui se joue. Et que lorsqu’on nie le droit de vote à une partie de la population résidant sur le sol national, c’est bien toutes et tous qu’on traite en citoyens infantiles plutôt qu’en citoyens.

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