4 nov. 2007

La vie à l'hôtel, symptôme de la crise du mal-logement

Depuis le 3 octobre, trois cents familles mal logées expriment leur exaspération, en campant sur le trottoir de la rue de la Banque, à Paris. La plupart travaillent, sont en situation régulière. Et pourtant, elles ne trouvent pas de vrai logement, ni dans le parc privé, trop cher pour elles, ni dans le parc public, saturé. Les politiques visant à développer l'offre de logements en France ne sont pas parvenues à enrayer la pénurie. Ces ménages, pour la plupart originaires d'Afrique, ne sont pas des sans-logis : certains vivent dans des squats, d'autres chez des amis ou à l'hôtel. Un habitat sordide, disent-ils, payé à prix d'or, où ils ne veulent plus retourner.


Leur mobilisation met en lumière un pan méconnu de l'action publique : selon nos informations, en 2007, l'Etat devrait dépenser environ 75 millions d'euros pour héberger à l'hôtel quelque 12 500 personnes, majoritairement en région parisienne. Un quart sont des demandeurs d'asile. Une moitié sont des étrangers en situation irrégulière, hébergés à titre humanitaire. Pour sa part, la Ville de Paris finance essentiellement des nuitées pour les familles avec enfants en situation régulière. En 2007, son budget devrait s'élever à 16 millions d'euros pour héberger à l'hôtel 2 100 enfants, 1 500 adultes et 130 jeunes majeurs isolés.

La part importante de l'hôtel dans les crédits accordés à l'hébergement d'urgence est un phénomène récent. En 2000, le budget hôtellerie de l'Etat avoisinait les 10 millions d'euros. Il a bondi à 120 millions en 2005. Dans les administrations en charge du logement, cette envolée a fait frémir. "On peut dire que c'est absurde, dit un haut fonctionnaire. Mais l'on peut aussi s'honorer que la France ne laisse pas ces gens à la rue."

Mariam, 35 ans, participe à l'action soutenue par l'association Droit au logement (DAL). Mercredi 31 octobre, avant l'aube, elle nous a ouvert la porte de sa chambre, au premier étage d'un hôtel de tourisme décrépi du Val-de-Marne où elle vit depuis mai 2005 avec ses deux garçons. Les visites sont interdites. Le logeur dort encore. Au risque de perdre sa chambre, Mariam veut montrer comment elle vit, pour que la société sache que "faire grandir des enfants dans une chambre d'hôtel, ça ne devrait pas exister". "Je veux que Mme Boutin vienne ici ! Si elle voit, elle ne dira plus que nous devons nous estimer heureux d'avoir un toit."

Dans la pièce de 12 m2, un lit double et un lit simple occupent presque tout l'espace. Les vêtements sont rangés là où il y a un peu de place, au bord du lit, dans les coins. Les parois de l'unique placard sont tellement humides que les affaires y moisissent. Il n'y a ni chaise, ni table, ni réfrigérateur. Il est interdit de cuisiner.

Un mois dans cette chambre coûte 1 500 euros. Mariam en paie 310 grâce à ses deux mi-temps : le matin, elle distribue des prospectus dans les boîtes à lettres, l'après-midi, elle fait le ménage dans une banque. Des crédits publics financent la différence. "Eux, ils gaspillent, et nous, on souffre", dit-elle pour résumer ce qui apparaît, à bien des égards, comme une aberration humaine, sociale et économique. L'impossibilité de cuisiner, par exemple, génère des dépenses inouïes au regard des ressources de ces ménages : Vanessa, une autre jeune femme hébergée à l'hôtel à Paris depuis son expulsion, raconte qu'elle va chaque matin acheter des chocolats chauds (1,40 euro chacun) chez McDonald's pour ses deux enfants. "Pour le dîner, nous cherchons du chaud-mangeable-pas-cher" : "McDo" ou kebabs. Mariam explique, elle, que "quand elle n'a presque plus d'argent, (elle) achète des conserves". Leur contenu est mangé froid, sur le lit, dans trois boîtes en plastique.

Dans la salle de bains, une tablette, juste à côté des WC, accueille l'essentiel pour le petit déjeuner des enfants : un paquet de céréales, un pot de crème à tartiner et une boîte de lait en poudre - "si je l'achète en bouteille, le lait se gâte". Tandis que Mariam montre le linge qu'elle lavera dans la baignoire - "la laverie est trop loin et trop chère" -, son fils âgé de 3 ans, large sourire face au miroir, se brosse les dents pour la troisième fois. "Mon petit milliardaire !", plaisante sa mère en reprenant un tube de dentifrice presque vide des mains de l'enfant.

Lorsqu'elle est arrivée du Mali, en 1998, avec son mari français - dont elle s'est séparée alors qu'elle était enceinte -, Mariam pesait 55 kg et rêvait de devenir hôtesse de l'air. "Avec l'hôtel, je suis devenue grosse. Et je suis trop triste pour m'habiller bien", dit la jeune femme, qui assure ne jamais perdre courage. "Je me bats en tant que mère. Je veux que mes enfants fassent des études." L'aîné, 5 ans, intervient : "Quand je serai grand, je t'achèterai une maison avec une piscine !" Mariam, comme Vanessa, a déposé en vain une demande de logement social.

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